1773-02-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.
I nunc et versus tecum meditare canoros.

Mon cher ami il m’arrive une avanture digne de ce siècle, la lie des siècles. Je ne sçais quel est le comédien, ou le soufleur, ou l’ouvreur de loges qui s’est avisé de travestir ma tragédie des loix de Minos, de suprimer ce que j’ai fait de plus passable et de défigurer le reste par des vers à la Crébillon. Ce polisson a vendu secrètement la pièce à un libraire affamé nommé Valade qui la vend hardiment sous mon nom, sans approbation, sans privilège, et peutêtre avec une espèce de permission tacite donnée pour de l’argent par un censeur de livres. Si cet infâme brigandage est autorisé dans Paris, il faut s’enfuir en Amerique. Tout ce qui se passe dans vos différents tripots est à peu près de même parure, mais je ne m’intéresse qu’à ce qui s’appelle humaniores litteræ qui sont devenues inhumanæ litteræ. Dieu vous préserve monsieur votre frère et vous des brigands qui infestent les caffez, le parterre, le parnasse et les bordels de toutte espèce!

Adieu, quoy qu’on en dise Lulli sera toujours pour moy le Dieu et le seul dieu de la déclamation. Je vous embrasse tendrement. Madame Denis vous fait mille compliments.

V.