1773-02-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Henri de Fuzée de Voisenon.

Mon très cher confrère, je vous prie de ne pas manquer d’excommunier d’une excommunication majeure, le Libraire Valade, grand imprimeur de Libelles, qui malgré toutes les loix de la police, a défiguré les loix de Minos d’une manière à déchirer les entrailles paternelles d’un vieux radoteur qui ne reconnait plus son ouvrage.
Le scélérat a sans doute acheté une détestable copie de quelque bel esprit ouvreur de loges, qui n’a pas manqué d’y mettre beaucoup de vers de sa façon. Voilà certainement le plus horrible abus qui soit en France, et peut être le seul, car tout le reste assurément va à merveille. Mais j’ai mes loix de Minos sur le coeur, et j’ambitione trop vôtre suffrage pour vous laisser croire un moment que la pièce soit entièrement de moi.

Vous me direz qu’il est très ridicule à mon âge de faire des pièces de théâtre. Je le sais bien, mais il ne faut pas reprocher à un homme d’avoir la fièvre. Que voulez vous qu’on fasse au milieu des neiges si ce [n’est] des Tragédies? Si j’étais avec vous je passerais mon temps à vous écouter et à me réjouir, et nous serions tout deux Jean qui rit. Cependant, Monsieur Valade ne fera pas de moi Jean qui pleure.

Je vous embrasse, je vous regrette, et je vous aime de tout mon cœur.

V.