à Paris ce 23 juillet [1725]
Depuis que je ne vous ai écrit, une foule d'affaires m'est survenue.
La moindre est le procez que je renouvelle contre le testament de mon père; les peines que je me donne tous les jours m'ont bientôt ôté le peu de santé que l'espérance de vous voir m'avoit rendue. Je mène ici une vie de damné tandis que Tiriot et vous vous avez l'air d’être dans les limbes à votre campagne. Il n'y a plus d'aparence que je revoie la Riviere Bourdet. Voilà qui est fait. Il n'y a point de repos pour moy jusqu’à l'impression de Henri quatre. Je ne vous dirai point combien la situation où je me trouve est douloureuse. Vous n’êtes pas assez fâchée de vivre sans moy pour que je veuille vous montrer toutte mon afliction. Je vous prie seulement de me rendre un petit service dans votre ville de Rouen. Un de vos coquins d'imprimeurs a imprimé depuis peu Mariamne. J'en ai un exemplaire entre les mains; si par le moyen de monsieur Tiriot je pouvois savoir quel est l'imprimeur qui m'a joué ce tour, j'en ferois incessamment saisir les exemplaires. Il peut mieux que personne être informé de cela. Je ne lui écris point pour l'en prier car je compte que c'est tout un d’écrire à vous ou à luy, et d'ailleurs en vérité, je n'ai pas un moment de temps. Qu'il me pardonne donc ma négligence et qu'il ait la bonté quand il ira à Roüen de dénicher un peu le faquin qui a donné ma Mariamne. Elle est pleine de fautes grossières et de vers qui ne sont pas de moy. J'en suis dans une colère de père qui voit ses enfants maltraittez. Et cela m'oblige de faire imprimer ma Mariamne plutôt que ne l'avois résolu et dans un temps très peu favorable. Il pleut des vers à Paris. Mr de la Motte veut absolument faire jouer son Œdipe, mr de Fontenelles fait des comédies tous les jours, tout le monde fait des poèmes épiques. J'ai mis les poèmes à la mode comme l'Anglée il y avoit mis les falbalas. Si vous voulez des nouvelles, messieurs du clergé refusent de payer la cinquantième, et je m'imagine que sur cela, la noblesse et le tiers état pouront bien penser de même. Les dames du palais partent demain à l'exception de madame la maréchalle de Villars qui est retenue par une perte de sang. Madame de Prie a pris les devants avec madame de Talard, et avant de partir m'a donné un ordre pour le concierge de sa maison de Fontaineblau où j'ai un apartement cet automne. J'y verrai le mariage de la reine, je feray des vers pour elle si elle en vaut la peine; j'en ferois plus volontiers pr vous si vous m'aimiez. Voilà le papier qui me manque. Adieu, je vous aime de tout mon cœur. Mes complimens à monsieur des Alleurs et à mr Tiriot.