1725-06-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Madeleine Du Moutier, marquise de Bernières.

Je sors de chez Silva à qui j'ai envoyé quatre fois inutilement demander votre ordonnance; il m'a paru aussi difficile d'en avoir une de médecin que du roy.
Enfin Silva vient de me dire qu'il a reçu une lettre de vous et de Tiriot, et qu'il vient d'y faire réponse. Il m'a assuré que les morceaux d'une boule de fer étoient aussi bons que la boule en entier; mais pour moy je puis vous assurer que le régime vaut mieux que touttes les boules de fer du monde; je ne me sers plus que de ce remède, et je m'en trouve si bien que je serois déjà chez vous par le coche ou par les batelets sans la lettre que monr Tiriot m'a écritte. Il m'a mandé que vous et lui seriez fort aises de me recevoir, mais qu'il ne me conseilloit pas de venir sans avoir auparavant donné de l'argent à monsieur de Berniere. Je n'ai jamais plus vivement senti ma pauvreté qu'en lisant cette lettre. Je voudrois avoir baucoup d'argent à luy donner; car on ne peut payer trop cher le plaisir et la douceur de vivre avec vous. J'envie bien la destinée de Monsieur des Alleurs qui a porté à la Riviere Bourdet son indifférence et ses agrémens; je m'imagine que vous avez volontiers oublié tout le monde dans votre charmante solitude, et que qui vous manderoit des nouvelles de ce pays cy, fussent des nouvelles de votre mari, vous importuneroit baucoup.

Mille compliments à mr des Alleurs.

Je ne sai autre chose que le risque où le roy Stanislas a été d’être empoisonné. On a arrêté l'empoisoneur, et on attend de jour en jour des éclaircissemens sur cette étrange avanture. Les dames du palais partiront je croi le dix pour aller chercher leur reine. Je croi mr de Luxembourg parti pour Roüen. Voilà tout ce que je sai.

Tout le monde dit dans Paris que je suis dévot et brouillé avec vous, et cela, parceque je ne suis point à la Riviere, et que je suis souvent chez la femme au miracle du fauxbourg st Antoine. Le vrai pourtant est que je vous aime de tout mon cœur comme vous m'aimiez autrefois et que je n'aime dieu que très médiocrement, dont je suis très honteux. Je ne sai point du tout si monsieur de Berniere ira vous voir, et vous savez si j'y dois aller. Mandez moy ce que vous souhaittez. Ce sont vos intentions qui règlent mes désirs. Adieu, soit à la Riviere soit à Paris, je vous suis attaché pour toujours avec la tendresse la plus vive.