à Fontainebleau, le 18 [17 October 1725]
Je viens de recevoir une lettre sans datte de notre ami Tiriot par laquelle il me mande que vous avez été malade sans m'en spécifier le temps.
Je vous assure que je me trouve bien malheureux de n'avoir pu être auprès de vous; ce qu'on apelle si faussement les plaisirs de la cour, ne vaut pas la satisfaction de consoler ses amis. Soiez sûr qu'il m'est plus doux de partager vos souffrances que de faire ici ma cour à notre nouvelle reine. J'ai été quelque temps sans vous écrire, parce que je n'ai pas eü un moment à moy. Il a fallu faire jouer Œdipe, Mariamne et l'Indiscret. J'ai été quelque temps à Belebat avec madame de Prie. D'ailleurs je me suis trouvé presque toujours en l'air, maudissant la vie de courtisan, courant inutilement après une petite fortune qui sembloit se présenter à moy, et qui s'est enfui bien vite dès que j'ai cru la tenir, regrettant à mon ordinaire, vous, vos amis et votre campagne, aiant bien de l'humeur et n'osant en montrer, voiant bien des ridicules, et n'osant les dire, n’étant pas mal mal auprès de la reine, très bien avec madame de Prie et tout cela ne servant à rien qu’à me faire perdre mon temps et m’éloigner de vous. Je vais dans le moment chercher mr Gervasi et s'il va à la Riviere Bourdet, je vais bien envier sa destinée. Je vous avertis d'avance ma chère reine que mr de Gervasi et tous les médecins de la faculté vous seront inutiles, si vous n'avez pas un régime exact, et qu'avec ce régime vous pourez vous passer d'eux à merveille. Mettez la main sur la conscience et avoüez que vous avez été quelquefois un peu gourmande. C'est un vilain vice auquel je vous ai vue très adonnée, et je vous dirai comme Voiture,
Aimez, et mangez un peu moins, l’école de Salerne ne peut vous donner de meilleurs conseils. Mandez moy donc je vous en conjure comment vous vous portez. Tiriot m’écrit que votre maudit rhumatisme vous a quitté; mais n'a t'il laissé nulle impression? Vos yeux ont ils baucoup soufferts? êtes vous parfaittement guérie? Pourquoy faut il que vous me négligiez assez pour me laissez ignorer l’état où vous avez été, et celui où vous êtes? Je passai hier tout le soir avec madame de Lusbourg à parler de vous. Elle vous aime de tout son cœur, elle pense comme moy, elle aimeroit bien mieux être à la Riviere qu’à Fontaineblau. La pauvre femme sèche ici sur pied. On a brûlé sa maison et on ne parle pas encore de la dédommager. Cela doit aprendre aux particulières à se piquer un peu moins de loger chez elles des reines. Madame de Lusbourg demande justice, et ne l'obtient point. Jugez ce qu'il arrivera de moy chétif qui ne suis ici que pour demander des grâces. Ah madame, je ne suis pas ici dans mon élément, aiez pitié d'un pauvre homme qui a abandonné la Riviere Bourdet sa patrie pour un pays étranger, insensé que je suis. Je pars dans deux jours avec monsieur le duc D'Antin pour aller à Bellegarde voir le roy Stanislas, car il n'y a sottise dont je ne m'avise; de là je retourne à Belebat une seconde fois avec madame de Prie. Ce sera dans ce temps là à peu près que mes affaires seront finies ou manquées. Je ne vous promets plus de venir à la Riviere, mais seriez vous bien étonnée si vous m'y voiyez arriver les premiers jours de novembre? Je vous jure que je n'ay jamais eu plus d'envie de vous voir. Je songe à vous au milieu des occupations, des inquiétudes, des craintes, des espérances qui agitent tout le monde en ce pays cy. Mais, vous m'oubliez dans votre oisiveté. Vous avez raison. Quand on est avec madame du Deffant, et mr l'abbé d'Amfreville, il n'y a personne qu'on ne puisse oublier. Je les assure de mes très humbles respects aussi bien que le maître de la maison. Adieu ma chère reine, comptez sur ma respectueuse et tendre amitié pour toutte ma vie.