à Forges ce vendredi au soir [11 August 1724]
Il ne faut pas trop compter sur nos projets.
Notre marche est encor changée. Nous partons mardi prochain quinzième du mois et nous arrivons le même jour à Paris; je comtois bien assurément vous revoir à la Riviere et vous y amener monsieur le duc de Richelieu mais j’èprouve depuis longtemps une destinée maligne qui dérange tous mes projets. Vous voiez bien que mon goust ne décide point du tout de ma conduitte puisque je ne reviens point auprès de vous. J’étois si charmé de la vie que je menois à votre campagne que partout ailleurs je me croirai dans un monde étranger. Faites en sorte du moins que le démon qui m'empêche de coucher mardi à la Riviere ne me fasse point passer la nuit dans la rue à Paris. Ecrivez je vous en prie à votre tapissier qu'il me tienne un lit prest chez vous mardi sans faute soit dans votre apartement soit dans celui de monsieur de Berniere. Si vous avez quelques ordres à me donner pour Paris je vous demande en grâce de ne me pas épargner. Je tâcherai d'adoucir le chagrin d’être loin de vous par le plaisir d'exécuter avec exactitude ce que vous m'aurez ordonné. Le courier va partir, je n'ai pas le temps d’écrire à notre cher Tiriot. Dites lui je vous en prie combien je suis fâché de ne le pas voir avant de partir. Je vous écrirai souvent à tous deux. Il n'a qu’à me charger de toutes ses commissions. Il aura en moy un très fidèle correspondant. Je ne vous parle pas de ma santé, je ne sai pas encor si elle est bonne ou mauvaise. Je salue Mr de Berniere et ceux qui ont le bonheur d’être à la Riviere à qui je vous assure que je porte envie.