1767-03-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami, le mémoire de Sirven réussira.
Les traits du premier mémoire conservés dans le second feront un très grand éffet. L'éloquence perce àtravers le stile du barau. Je vous addresserai les Sirven aussitôt que vous voudrés, vous serés leur protecteur à Paris. Je me réserve à vous écrire plus amplement sur leur compte quand je les ferai partir. Il faudra un passeport de monsieur le Duc De Choiseuil. Nous sommes bien sûrs de n'être pas refusés.

La querelle que l'on fait à mon cher Marmontel n'est qu'une farce en comparaison de la tragédie des Sirven et des Calas. Cette farce sera sifflée. Voici un petit madrigal d'un jeune homme de Mâcon sur la bêtise de la sacrée faculté:

Vénérables sorboniqueurs,
De l'enfer savants croniqueurs,
Vous prétendés que Marc Aurelle
Doit cuire à jamais dans ce lieu.
Pour récompenser votre zèle,
Puisse incessamment le bon dieu
Vous donner la vie éternelle.

Vous voyez que les provinces se forment. Je n'ai pas le temps de vous parler beaucoup des Scithes. Je vous dirai seulement qu'un serment de punir les gens de mort convient fort dans les premiers actes de Tancrède et de Brutus, mais qu'il serait un peu déplacé dans un mariage et qu'il serait assés ridicule qu'une femme prévit qu'on tuera son mari Lors qu'il n'est menacé par personne. Vous sentés qu'une telle finesse serait trop grossière.

Tout dépendra du rôle d'Obéide. Il faudra que Le Kaint se donne La peine d'adoucir et d'attendrir la voix de Malle Durancy qu'on dit un peu dure et un peu sèche. Si vous avés lu la préface que je voulais aussi faire lire à Mr Diderot, vous aurés vu que mon intention n'était point de faire jouer cette pièce; mais puisque mes amis veulent qu'on la représente, j'y consens. Cela poura donner quatre ou cinq représentations avant pâques. Les comédiens en ont besoin, après quoi je ne m'en mêlerai plus.

Je suis bien aise que la police ait passé ces deux vers,

Le premier de l'état quand il a pu déplaire
S'il est persécuté doit souffrir et se taire,

et encore celui-cy,

Pouvais-tu rechercher cette basse grandeur?

La police a jugé sagement que ces choses là n'arrivaient qu'en Perse.

Je vous remercie, mon cher ami, de l'intérest que vous prenés à mes petites affaires. Je ne me suis point encore ressenti des arrangements œconomiques de Monsieur le Duc de Virtemberg.

J'écris à Cadix au sujet de la banqueroute des Gilli mais j'espère très peu de chose. Les Gilli n'ont fait que de mauvaises affaires.

Vous m'avés mandé par votre dernière lettre que Madame Lespinas désirait des sottises complètes. Il n'y a qu'à en prendre un recueil chez Merlin, le faire relier et le lui envoyer. Ce sera autant de payé sur les mille livres qu'il doit à Wagnère.

Je reçois dans ce moment une lettre de monsieur de Courteil qui est enchanté de votre mémoire.

Je vous embrasse plus fort que jamais. E. L.

Mr D'amilaville est prié de donner cours aux incluses.