1767-02-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

L'article de vôtre Lettre du 10, concernant un Intendant, m'étonne autant qu'il m'afflige.
Je crois qu'il sera bon dans l'occasion de lui faire parler fortement en vôtre faveur, sans paraître instruit de ce que vous me mandez. Il m'était venu voir à Ferney, et j'en avais été très content. Je me flatte encor qu'il ne sera pas difficile de la ramener.

Sirven et une de ses filles sont tout prêts à faire le voiage de Paris dès qu'on les mandera. Il sera très convenable, qu'ils soient logés modestement à portée de leur avocat au conseil. Je ne connais point mr Cassen; j'étais fort content de Mr Mariette, et je vous prie instamment de le lui dire, mais il faut laisser faire Mr de Beaumont et ne le pas décourager. Il est actif, sa gloire est intéressée au succez; il est ami de Mr Cassen; il fait encor travailler mr Target qu'on dit qui est un excellent avocat, qui doit donner un factum en faveur des filles Sirven.

Je vous demande deux grâces, mon cher ami, c'est de voir Mariette pour le consoler, et Target et Cassen pour les remercier. J'ai très bonne opinion du procez. Je suis persuadé que les maîtres des requêtes mettront ce dernier fleuron à leur couronne civique. Mr de Beaumont croit m'aprendre qu'il a obtenu pour raporteur mr De Chardon; et il y a près d'un mois que Mr De Chardon m'a mandé qu'il était raporteur. Il parait prendre l'affaire des Sirven à cœur autant que nous mêmes. Il m'a fait l'honneur de m'envoier un mémoire sur L'île de Ste Lucie, dont il a été Intendant; ce mémoire m'a paru un chef d'œuvre. J'ai été d'autant plus touché de cette marque de confiance, qu'elle me fait espérer qu'il aura quelque envie de s'attirer dans l'affaire des Sirven les aplaudissements des âmes qui sont sensibles au mérite.

Nous avons reçu maman et moi le Bélisaire. Nous nous sommes jettés par un heureux instinct sur le chapitre de la Tolérance qui est le chapitre 15. Il nous a enlevés. Si tout le reste est de cette force l'ouvrage aura le succez le plus durable. Vous me ferez plaisir d'acheter pour moi un éxemplaire de mes sottises chez Merlin, qui sera à compte des cent pistoles qu'il me doit; de le bien faire relier, et de le faire présenter de ma part à Mr de Marmontel.

Je compte que vous aurez les Scythes incessamment. Voicy un petit mot pour lui, et l'autre pour mr de Beaumont. Pardon, mon très cher ami, de toutes les peines que je vous donne. E. L.