28 oct. [1766]
Non, mon cher deffenseur de l'innocence des autres, et des droits de made vôtre femme; non, mon cher Ciceron, ne m'envoiez point vôtre factum pour les Sirven; ce serait perdre un temps prétieux, je m'en raporte à vous.
Je ne veux voir vôtre mémoire qu'imprimé. Vous n'avez pas besoin de mes faibles conseils, et les malheureux Sirven ont besoin que leur mémoire paraisse incessamment, signé de plusieurs avocats. Je vais écrire à Mr Chardon puisque vous l'ordonnez, mais il me semble qu'aucun maître des requêtes ne demande jamais d'être raporteur d'une affaire. Ils attendent tous que Mr le vice-chancelier les nomme. J'aurai dumoins le plaisir de dire à Mr Chardon tout ce que je pense de vous.
Mr De La Borde, premier valet de chambre du roy, en revenant de Ferney, rencontra mr le vice chancelier dans la chambre de S: M: Il lui dit que Mr Le Duc De Choiseuil devait lui demander mr De Chardon pour raporteur dans l'affaire des Sirven. Mr Le vice chancelier répondit qu'il le nommerait de tout son cœur; je n'attends donc que vôtre mémoire pour faire parler mr Le Duc De Choiseuil qui aura cette bonté.
Quand vous serez à Paris pourez vous m'envoier par mr D'Amilaville vos mémoires contre made De Roncherolles? Tout ce qui vous concerne m'intéresse. Ne doutez pas que Mr D'Argental ne parle et ne fasse parler mr Le Duc De Praslin à mr De Chardon. J'aurai même l'insolence de demander la protection de Mr Le Duc De Choiseuil. Il a déjà eu la bonté de m'écrire qu'il est depuis longtemps l'ami de Mr De Chardon, et qu'il l'avait envoié dans une île toute pleine de serpens, de laquelle il était revenu le plutôt qu'il avait pu.
Vous avez donc trouvé d'autres serpens en Normandie? Mr Du Celier sifle donc toujours contre vous et tâche de vous mordre au talon? Mais il parait que vous lui écraserez la tête.
Voilà bien des affaires, vous faittes la guerre de tout côtés, mais la grande guerre, celle qui m'intéresse le plus, est celle de qui dépend la fortune de made De Beaumont. Je vous ai déjà dit que j'ai lu avec beaucoup d'attention vos factums. Je vois que vous demandez à rentrer dans une terre de sa famille vendue à vil prix; je vois que la raison et les loix sont pour vous. Je veux voir absolument le factum de vôtre adverse partie. Je sçais qu'elle a soulevé contre vous beaucoup de protestants; je puis en ramener quelques uns qui ne laissent pas d'avoir du crédit. Ce que je vous dis est plus essentiel que vous ne pensez. Je vous demande en grâce de m'envoier ce mémoire de vôtre adversaire avec celui des Sirven. Depuis vôtre triomphe dans l'avanture des Calas, toutes vos affaires sont devenues les miennes. Adieu, mon cher Ciceron, mille respects à Madame Terentia.
V.