1766-12-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Vous allez être une seconde fois, mon cher Ciceron, le protecteur de l'innocence la plus pure et la plus oprimée; je pense toujours que vous en aurez beaucoup plus de faveur auprès du Conseil dans l'affaire de Canon, lorsqu'on verra que celui qui plaide pour lui même a plaidé avec tant d'éloquence, de désintéressement et de noblesse pour les autres.

Hélas, mon cher Monsieur, que puis-je faire pour vous du fond de mes déserts? La mort m'a enlevé prèsque tous mes amis. Mr la maréchal de Richelieu qui aurait pu me donner sa protection est à Bordeaux. Ma faible voix se fera entendre sûrement aux peu de connaissances qui me restent.

Je prends même la liberté d'envoier par cet ordinaire un mémoire de cinq ou six lignes à Mr Le Duc De Choiseuil; il ne les faut pas plus longs à un ministre chargé de tant d'affaires et de tant de détails.

Vous m'avez fait la grâce de m'envoier deux mémoires sur l'affaire de Canon. Vous croiez bien que je les ai lus tous deux avec la plus grande attention, et l'intérêt le plue vif.

Vous me demandez le secrêt sur des choses que vous voulez bien me confier concernant cette affaire; et moi je vous le demande bien d'avantage. Il faut vous dire que ce sont précisément messrs Tronchin qu'on a violemment prévenus contre vous, et principalement Tronchin le médecin qui a beaucoup de crédit dans la maison d'Orléans, dans celle de La Rochefoucaut et dans quelques autres. Je pense qu'il est très convenable que madame De Beaumont aille trouver les deux Tronchins, elle réussira en se montrant et en parlant. Il est nécessaire de les détromper, et de leur faire voir que ce ne sont point des catholiques avides qui veulent dépouiller des protestants à la faveur et à l'apui d'une loi barbare; que c'est précisément tout le contraire. Vous pourez alors avoir dans mr Tronchin le fermier général un soliciteur auprès de mr Bertin, aulieu d'un adversaire. Mr D'Argental parlera à Mr Le Duc De Praslin.

Je pense qu'il ne serait pas mal que made De Beaumont se fit présenter à made la Duchesse D'Anville; qu'elle lui donnât d'abord vôtre mémoire en faveur des Sirven, qu'ensuitte, dans une seconde visite elle lui confiât le secrêt de vôtre affaire, les dispositions de mr De Berenger etca. Elle se ferait de made D'Anville une protectrice très puissante et très vive, qui pourait déterminer mr De st Florentin en vôtre faveur. C'est principalement de mr De st Florentin que ces affaires dépendent; c'est lui qui les raporte au conseil du roi.

Je voudrais bien savoir quel est l'auteur de l'écrit sur les commissions. Si ce n'est pas vous, il y a donc quelqu'un dans l'ordre des avocats qui a autant d'esprit que vous.

Adieu, mon cher ami, adieu, protecteur de l'innocence.

V.