1768-01-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Ainsi donc, mon cher deffenseur de l'innocence, in propria venit et sui eum non receperunt.
Je vous croiais en pleine possession de Canon, et je vois, en jouant sur le mot, qu'il vous faudra du Canon pour entrer chez vous. Il faudra cependant bien qu'à la fin madame De Beaumont jouïsse de la maison de ses pères. Il faut qu'elle soit habitée par l'éloquence et par l'esprit, après l'avoir été par la finance, afin qu'elle soit purifiée.

Nôtre ami mr D'Amilaville est actuellement plus embarassé que vous. On lui conteste une place qui lui a été promise, et qu'il a méritée par vingt ans d'un travail assidu.

Je suis très fâché de la mort de mr Cassen. Il sera aisé de trouver un avocat au conseil qui le remplace. Mr De Chardon n'attend que le moment de raporter. Il est tout prêt. Je pense même que le petit orage que le parlement de Paris lui a fait essuier, ne ralentira pas son zèle contre le parlement de Toulouse.

J'attends avec une grande impatience le mémoire que vous avez bien voulu faire pour les accusés de ste Foi. Ils sont encor aux fers, et vous les briserez. Il est inconcevable que la jurisprudence soit si barbare dans une nation si légère et si guaie. C'est je crois parce que nos agréments sont très modernes, et nôtre barbarie très ancienne.

Je ne savais pas que l'honnête criminel éxistât en éffet, et qu'il s'appelât Favre. Si la chose est comme le dit l'auteur de la pièce, le père est un grand misérable; et l'ouvrage serait plus attendrissant si le père venait se présenter au bout d'un mois, au lieu d'attendre quelques années. Quoi qu'il en soit il y a trop de fanatiques aux galères, conduits par d'autres fanatiques. La raison et la tolérance vous ont choisi pour leur avocat; elles avaient besoin d'un homme tel que vous. Je présente mes respects à madame De Beaumont, et je partage entre vous deux mon attachement inviolable et ma sincère estime.

V.