1767-06-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami, faittes d'abord mes compliments à la Sorbonne du service qu'elle nous a rendu, car les choses spirituelles doivent marcher devant les temporelles.
Ensuite aiez la charité de reprendre l'affaire des Sirven. Mr De Chardon peut à présent raporter l'affaire. Sirven est prêt de partir pour Paris; je vous l'adresserai. Il faudra qu'il se cache jusqu'à ce que son affaire soit en règle.

Je tremble pour celle de nôtre ami Beaumont. On me mande qu'elle a un côté odieux, et un autre qui est très défavorable. L'odieux est qu'un philosophe, que le défenseur des Calas et des Sirven, reproche à un mort d'avoir été huguenot, et demande que la terre soit confisquée pour avoir été vendu à un catholique. Le défavorable est qu'il plaide contre des Lettres patentes du Roi. Il est vrai qu'il plaide pour sa femme qui demande à rentrer dans son bien; mais elle n'y peut rentrer qu'en cas que le roi lui donne la confiscation. Il reste à savoir si ce bien de ses pères a été vendu à vil prix. Tout celà me parait bien délicat. C'est une affaire de faveur, et il est fort à craindre que le secrétaire d'Etat qui a signé les lettres patentes de son adverse partie ne soutienne son ouvrage. Je crois que Mr De Chardon en est le raporteur; je serais fâché que mr De Chardon fût contre lui, et plus fâché encor si Mr De Chardon étant pour lui, le conseil n'était pas de l'avis du raporteur. L'affaire de Sirven me parait bien plus favorable et bien plus claire. Je m'intéresse vivement à l'une et à l'autre.

Voicy un petit mot pour Protagoras qui est d'une autre nature. Tout ce qui est dans ce billet est pour vous comme pour lui; tout est commun entre les frères. Ma santé devient tous les jours plus faible; tout périt chez moi hors les sentiments qui m'attachent à vous. Je vous embrasse bien fort, mon très cher ami.

V.