1766-11-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Daniel Marc Antoine Chardon.

Monsieur,

Ce n'est pas ma faute si je vous importune, prenez vous en à la réputation que vous avez d'être le juge le plus intègre, et le raporteur le plus éloquent.
Mr et made De Beaumont se croient trop heureux si leur fortune dépend de vous. Les Sirven vous demandent la vie, et moi, Monsieur, j'ose vous la demander pour eux, moi qui suis témoin depuis trois années de leur innocence, de leurs larmes et de l'horrible injustice qu'ils essuièrent lorsque le même fanatisme qui fit périr Calas sur la roue condamna Sirven et sa femme à la corde sur la même accusation de parricide que la superstition impute si légèrement, et que la nature désavoue.

Mr Le Duc De Choiseuil qui pense sur vous, Monsieur, comme tout le public, et qui est vôtre ami, a eu la bonté de me mander qu'il prierait Mr Le vice chancelier de vous nommer raporteur dans l'affaire des Sirven. Vous êtes déjà instruit de cette horrible avanture; je ne vous demande que la plus éxacte justice. La malheureuse destinée de cette famille qui l'a conduite dans mes déserts, deviendra un bonheur pour elle si vous daignez raporter sa cause. C'en est un pour moi que cette occasion de vous assurer de l'estime infinie et du respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être

Monsieur

Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhomme ord. de la chambre du Roy