1766-11-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Vraiment, cela n'allait pas mal, j'étais en train.
Je me disais, il y a là des choses qui plairont à mes anges; cette idée me soutenait. Mais ô mes anges! les tracasseries viennent en foule, elles tarissent la source qui commençait à couler. On me conteste la turpitude de nôtre ami Jean Jaques. On soutient que Jaques était secrétaire d'ambassade à Venise, et qu'il avait seul le secrêt du ministère. Mr Le chevalier de Taulès m'a apporté les originaux des Lettres de Jean Jaques où il n'est question que de coups de bâton, et point du tout de politique. Il est avéré que ce grand homme, loin d'avoir le secrêt de la cour, était copiste chez mr le comte de Montaigu, à deux cent livres de gages. Mr L'ambassadeur et mr Le chevalier de Taulès sont d'avis qu'on imprime ces Lettres pour les joindre à l'éducation d'Emile, dès qu'Emile sera reçu maître menuisier, et qu'il aura épousé la fille du boureau.

Je conçois bien que la publication de la honte de Jean Jaques pourait servir à ramener à la raison le parti qu'il a encor dans Genêve, et refroidirait des têtes qu'il enflamme, et qui s'opposent à la médiation. Mais comme ces lettres sont tirées du dépôt des affaires étrangères je n'ose rien faire sans le consentement de Mr Le Duc De Praslin et de Mr Le Duc De Choiseuil. Je remets cette affaire, mes divins anges, comme toutes les autres, à vôtre prudence et à vos bontés. Il me parait essentiel que le ministère de France soit lavé de l'oprobre qui rejaillirait sur lui, d'avoir emploié un Jean Jaques; c'est trop que des D'Eons et des Vergys. La manière insultante dont ce malheureux Rousseau a parlé dans plusieurs endroits de la cour de France éxige qu'on démasque ce charlatan aussi méchant qu'absurde. Nous verrons si made la Duchesse de Luxembourg et made De Bouflers le soutiendront encor; on me mande qu'il est en horreur à tous les honnêtes gens, mais je sçais qu'il a encor des partisans.

Dites moi, je vous en prie, des nouvelles de mlle Durancy. On est toujours fou d'Olimpie à Genêve; on la joue tous les jours, le bûcher tourne la tête, il y avait beaucoup moins de monde au bûcher de Servet quand vingt cinq faquins le firent brûler.

Je me mets au bout de vos ailes.

V.