1767-01-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre de Buisson, chevalier de Beauteville.

Monsieur,

Je comptais avoir l'honneur de venir présenter les Scithes à vôtre Excellence, et je démênageais comme la moitié de Genêve, mais il plut à la providence d'affliger mon corps des pieds jusqu'à la tête.
Je la suplie de ne vous pas traitter de même dans ce rude hiver. Je vous envoie donc les Scithes comme intermède à la Tragi-comédie de Genêve.

On a logé des dragons autour de mon poulailler nommé le château de Tournay. Maman D[enis] ne poura plus avoir de bon bœuf sur sa [table]. Elle envoie chercher de la vache à Gex. Je ne sçais pas même comment on fera pour avoir les lettres qui arrivent au bureau de Genêve. Il aurait donc fallu placer le bureau dans le païs de Gex. Ce qu'il y a de pis, c'est qu'il faudra un passeport du Roy pour aller prendre de la casse chez Coladon. Passe encor pour du bœuf et des perdrix, mais manquer de Casse! celà est intolérable. Il se trouve à fin de compte que c'est nous qui sommes punis des impertinences de Jean Jaques, et du fanatisme absurde de Du Luc le père, qu'il aurait fallu bannir de Genêve à coup de bâton pour préliminaire de la paix.

Que les Scithes vous amusent ou ne vous amusent pas, je vous demande en grâce de les enfermer sous cent clefs comme un secrêt de vôtre ambassade. Mr Le Duc De Choiseuil et Mr Le Duc De Praslin sont d'avis qu'on joue la pièce avant qu'elle paraisse imprimée. Je ne suis point du tout de leur avis, mais je dois déférer à leur sentiment autant qu'il sera en moi.

Daignez donc vous amuser avec Obeide, et enfermez la dans votre sérail après avoir jouï d'elle, et que Mr le Chevalier De Taulès en aura eu sa part.

Le petit couvent de Ferney fesant très maigre chère, se met à vos pieds.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect

Monsieur

De Vôtre Excellence

Le très humble et très obéïssant serviteur

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