1767-01-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre de Buisson, chevalier de Beauteville.

Monsieur,

Vôtre Excellence va être bien étonnée, et va prendre cecy pour une plaisanterie fort indiscrête, mais comme je suis un peu embarassé avec mes banquiers de Genêve, tant pour leur argent de change inintelligible que par leur agio trop intelligible, je suis obligé d'avoir recours à vôtre protection.
Je suis un pauvre Scithe qui implore les bontés d'un ambassadeur persan. La lettre de change cy jointe vous dira de quoi il est question. Si vous daignez engager Mr Le Trésorier des Suisses à faire tenir cette Lettre de change à Montbelliard, elle sera acceptée sans difficulté, et j'espère venir prendre cet argent chez Mr le Trésorier quand je serai assez heureux pour sortir de mon lit, et pour venir vous faire ma cour dans vôtre roiaume.

Il est bien vrai que nous n'avons point eu aujourd'hui de bœuf pour faire du bouillon. Nous manquons de tout; les genevois mangent de bonnes poulardes de Savoye; on s'imagine les avoir punis, et c'est nous que l'on punit. Le mal tombe surtout sur nôtre maison. Je prends la liberté grande de dire à Mr Le Duc de Choiseuil qu'il a le diable au corps, mais interea patitur justus.

Si je ne connaissais pas vôtre extrème bonté je n'aurais pas tant d'effronterie.

Au reste, je vous réponds que je ne jouer[ai] pas mes deux cent Louïs au pharaon comme le chevalier de Bouflers, mais aussi il ne m'est pas permis à mon âge d'être aussi plaisant que lui. Permettez moi de dire les choses les plus tendres à Mr Le chevalier De Taulès, et daignez agréer l'attachement inviolable et le profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être

Monsieur

De vôtre Excellence

Le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire