1767-11-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sébastien Dupont.

Mon cher ami, j'écris quand je peux, et les lettres arrivent aussi quand elles peuvent.
La vôtre du 7e 9bre m'aprend qu'il y a encor un usurier qui me coupe l'herbe sous le pied. Je ne sçais si cet usurier est juif ou chrétien. Vous me ferez plaisir de m'aprendre son nom. Le roiaume des cieux est souvent comparé à l'usure dans st Matthieu dont le premier métier était d'être usurier.

Je vois que le sr Jeanmaire s'est toujours moqué de moi, et ne m'a jamais dit un mot de vérité. J'ai écrit à la chambre des finances de Montbelliard. Je lui ai proposé de me paier moitié comptant, et de me donner pour le reste des délégations irrévocables sur des fermiers ou régisseurs, bien acceptées, bien autorisées et bien légalisées. Je n'ai pas le temps d'attendre, et j'ai bien la mine de mourir avant d'avoir obtenu de quoi vivre.

J'ai fort à coeur que vôtre baron banquier n'ait rang et séance qu'après moi au conseil Souverain de Colmar pour l'article des dettes. Quand il s'agira d'une diète de l'Empire il peut passer devant moi tant qu'il voudra.

Si l'indigente chambre des finances de Monseigneur ne me fait pas une réponse cathégorique, j'enverrai certaine grosse en vertu de laquelle Simon Magius instrumentera vigoureusement, Inte[re]a patitur justus.

Adieu, mon cher ami, on ne peut vous aimer ni vous regretter plus sincèrement que l'hermite de Ferney.

V.