24e 8bre 1767, à Ferney
Mon cher ami, je reçois vôtre Lettre du 18.
Je commence par les plus sincères et les plus tendres remerciements. Je vous dirai ensuitte que si le juste soin d'assurer mes droits fesait quelque bruit en Alzace et en Souabe ce serait tant pis pour la cour de Virtemberg qui ne paie pas ses dettes.
J'ai été forcé d'envoier un avocat de mes amis en Franche Comté pour assurer mes créances; et je me flatte que vous voudrez bien faire pour moi dans le district de Colmar ce qu'il a fait dans celui de Bezançon.
Il y a longtemps que j'ai prévenu vôtre conseil en écrivant à Mr Le Duc De Virtemberg les Lettres les plus pressantes, auxquelles il n'a pas seulement fait réponse. Il faut absolument mettre cette affaire en règle, et forcer la chambre des finances de Montbelliard à me donner des délégations irrévocables sur des fermiers que je puisse contraindre. Je vous répete que j'ai cent personnes à nourrir, et que cette dépense journalière ne permet aucun ménagement.
Je crois qu'on peut faire saisir les revenus des terres en Alzace, sans faire une saisie réelle. Je m'en raporte à vos lumières sur cette formalité.
Il aurait été bien convenable et bien utile que les loix eussent donné autant de force à la copie autentique d'un contract qu'à la grosse; car cette grosse peut se perdre par mille accidents, par le feu, par la guerre, par la négligence d'un héritier, par la mauvaise foi d'un homme d'affaire. Il aurait donc fallu pour prévenir tant d'inconvénients ordonner qu'on délivrât deux grosses, comme les banquiers délivrent deux Lettres de change pour la même somme, les deux Lettres ne valant que pour une.
Je vous suplie de remarquer sur tout que je n'ai point de grosse de contract pour les engagements précédents de mr Le Duc De Virtemberg en 1752 et 1753. Ces objets sont considérables; ils montent à soixante et dix mille écus d'Allemagne.
Je crois vous avoir mandé, mon cher ami, que j'ai remis entre les mains de mon avocat de Franche Comté le contract de deux cent mille Livres que vous passâtes en ma faveur en 1764. C'est en vertu de ce contract qu'il agit actuellement dans les terres de Franche Comté. Je lui manderai de vous envoier mon contract dès qu'il aura rempli les formalités nécessaires. J'ai gardé par devers moi pour quatre vingt mille Livres de contracts uniquement pour ne point multiplier les frais du controlle que l'on paie dans la comté de Bourgogne.
Si malheureusement quelques discussions arrêtaient trop longtemps en Franche Comté l'avocat qui s'est bien voulu charger de mes affaires, dites moi je vous prie comment vous pouriez vous y prendre pour me faire rendre justice avec les seules pièces qui sont entre vos mains.
Il est d'une nécessité absolue qu'on agisse en forme juridique dans la confusion totale où sont les affaires. J'ai écrit à Mr Jeanmaire. Ma Lettre est pleine de respect pour Mr Le Duc De Virtemberg et ne parle que de la nécessité où je suis de prendre des mesures contre ceux qui pouraient me disputer mes hipothèques. Je prie même Mr Jeanmaire de communiquer ma Lettre à la chambre des finances de Montbelliard.
Je vous ai rendu un compte éxact de ma situation; tout mon embarras actuellement est de savoir comment nous ferons pour faire valoir les promesses de contract de Mr Le Duc De Virtemberg faittes en 1752 et 1753; promesses qui sont rapellées, si je ne me trompe dans le contract de 1764 que vous avez bien voulu signer. Ses promesses valent elles en effet contract? Je les ai toutes deux par devers moi. Ne faudra t-il pas que je vous les envoie? Dites moi, je vous prie, quel usage vous en ferez, et quelle est sur ce point dèlicat la jurisprudence du conseil souverain d'Alzace? Toutes ces affaires ne laissent pas d'être fort tristes pour un homme de mon âge dont la santé est très languissante. Ma consolation est dans vôtre amitié. Je vous embrasse de tout mon cœur.
V.