1767-04-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marc Antoine Jean Baptiste Bordeaux de Belmont.

Nouveaux changements dans la Tragédie des Scithes.

Acte 1er, Scène 1ère (édition des Cramer)

L'olivier à la main devant nous se présente,

corrigez,

Sur un coursier superbe à nos yeux se présente.

Même Scène, mettez,

Son adorable fille est encor au dessus.
De son sèxe et du nôtre elle unit les vertus;
Courageuse et modeste; elle est belle et l'ignore;
Sans doute elle est d'un rang que chez elle on honore;
Son ame est nôble aumoins, car elle est sans orgueil.
Simple dans ses discours, affable en son accueil
Sans avilissement à tout elle s'abaisse.
etca

Acte 2d, Scène 1ère (corrigez ainsi)

OBEIDE

Après mon infortune, après l'indigne outrage
Qu'a fait à ma famille, à mon age, à mon nom
De l'immortel Cirus un fatal regetton,
De la cour à jamais, lorsque tout me sépare
Quand je dois tant haïr ce funeste Athamare,
Sans état, sans patrie, inconnue en ces lieux
Tous les humains, Sulma, sont égaux à mes yeux.
Tout m'est indiffèrent.

SULMA

Ah! contrainte inutile!
Est-ce avec des sanglots qu'on montre un cœur tranquile?

OBEIDE

Hélas veux tu m'ôter en croiant m'éblouïr
Ce malheureux repos dont je cherche à jouï?
Au parti que je prends je me suis condamnée.
Va — si j'aime en secrêt les lieux où je suis née
Mon cœur doit s'en punir: il se doit imposer
Un frein qui le retienne, et qu'il n'ose briser.
N'en demande pas plus. Mon père veut un gendre,
Il ne l'ordonne point, mais je sçais trop l'entendre.
Le fils de son ami doit être préféré.
etca

Acte 3e, Scène 1ère

commencez cette Scène ainsi,

ATHAMARE

Quoi! c'était Obeide! ah! j'ai tout pressenti.
Mon cœur désespéré m'avait trop averti.
C'était elle, grands dieux!

HIRCAN

Ses compagnes tremblantes
Rappellaient ses esprits sur ses lêvres mourantes.
etca

Même Scène

Elle aura rassemblé ces objets de terreur;
Elle imite son père, et je lui fais horreur.

HIRCAN

Un tel saisissement, ce trouble involontaire
Pouraient-ils annoncer la haine et la colère?
Croiez moi, les sanglots sont la voix des douleurs
Et les yeux irrités ne versent point de pleurs.

ATHAMARE

Ah! lorsquelle m'a vu si mon âme surprise
D'une ombre de pitié s'était aumoins éprise!
Si lisant dans mon cœur, son cœur eut éprouvé
Un tumulte secrêt faiblement élevé!
Hélas! s'il était vrai! — tu me flattes peut être,
Ami, tu prends pitié des erreurs de ton maître.
Qu'ai-je fait? que ferai-je, et quel sera mon sort?
Mon aspect en tout temps lui porta donc la mort!
etca
Cette même Scène doit finir ainsi,

HIRCAN

Oui, seigneur, Obeide,
Marche vers la cabane où son père réside,
Je l'aperçois.

ATHAMARE

Hélas! tâche de désarmer
Ce père malheureux que je n'ai pu calmer. —
Des chaumes! des roseaux! Voilà donc sa retraitte! —
Ah! peut être elle y vit tranquille et satisfaitte
Et moi . . . .
etca

Acte 3e, Scène 2de

Sa vertu t'est connue, elle est inébranlable.

ATHAMARE

Elle l'est dans la haine, et lui seul est coupable.

OBEIDE

Tu ne le fus que trop, tu l'es de me revoir,
De m'aimer, d'attendrir un cœur au désespoir.
Destructeur malheureux d'une triste famille
Laisse pleurer en paix et le père et la fille
Il vient. Sors.

ATHAMARE

Je ne puis.

OBEIDE

Sois, ne l'irrite pas.

ATHAMARE

Non, tous deux à l'envi donnez moi le trépas.

OBEIDE

Au nom de mes malheurs, et de l'amour funeste
Qui des jours d'Obeide empoisonne le reste,
Fui, ne l'outrage plus par ton fatal aspect.

ATHAMARE

Juge de mon amour; il me force au respect,
J'obéis — dieux puissants qui voiez mon outrage
Secondez mon amour, secondez mon courage! (il sort).

Scène 3e

SOZAME

Eh quoi! cet ennemi nous poursuivra toujours!
Il vient flétrir icy les derniers de mes jours!
etca

Même Scène

J'ai fait depuis quatre ans d'assez grands sacrifices;
S'il en fallait encor je les ferais pour vous,
Je ne craindrai jamais mon père ou mon époux.
Je vois tout mon devoir —
etca

Acte 4e, Scène 5e

ATHAMARE

Il m'en coûte
D'affliger ta vieillesse et de percer ton cœur,
Ton fils eut mérité de servir ma valeur.

HERMODAN

Que dis-tu?

ATHAMARE (à ses soldats)

Qu'on épargne à ce malheureux père
Le spectacle d'un fils mourant dans la poussière.
Fermez lui ce passage.

HERMODAN

Achêve tes fureurs
(on a déja envoié toutes les corrections du 5e acte)

Si Monsieur de Belmont veut que la pièce lui produise quelque chose il faut qu'Obeide soit touchante et sache pleurer, qu'Athamare soit jeune, brillant, passioné, emporté, que les vieillards soient naturels, qu'Indatire soit naïf, vif et tendre avec Obeide, simple et fier avec son rival. Il faut que les confidents prennent part à l'action. La pièce est très difficile à jouer. Si mr De Belmont veut faire une nouvelle édition de la pièce, voicy l'épître dédicatoire suivant l'édition de Paris. C'est un vieux Scithe qui lui écrit et qui lui fait ses compliments.