1767-12-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Mon cher philosophe; l'affaire des Sirven devient d'une importance extrême.
Le raporteur me demande un écrit imprimé depuis quelques mois à Toulouse, dans lequel on justifie l'assassinat juridique de Calas. Les maîtres des requêtes qui ont déclaré unanimement la famille innocente y sont très maltraittés; leur tribunal y est déclaré incompétent et leur jugement injuste. J'ai malheureusement perdu cet écrit prétieux qui doit être une pièce produite au procez. Je ne me souviens plus du tître. Il me semble que c'était une Lettre adressée à un correspondant imaginaire, comme les Lettres de Vernet. Je vous demande en grâce d'écrire sur le champ à quelqu'un de vos amis de Languedoc, qu'il faut qu'il déterre cette Lettre, et qu'il l'envoie en droiture à Mr De Chardon, maître des requêtes, sous l'envelope de Mgr le Duc De Choiseul.

Celà est, encor une fois, de la dernière importance; il n'y a point de peine qu'on ne doive prendre pour recouvrer cet ouvrage. C'est un préliminaire nécessaire pour casser le dernier arrêt de Toulouse qui révolte tout le monde.

Je me porte fort mal, mais je mourrai content avec l'espérance de voir la tolérance établie. L'intolérance déshonore trop la nature humaine. Nous avons été trop longtemps au dessous des Juifs et des Hottentots. Je vous embrasse bien tendrement mon cher philosophe. Vous devriez bien venir quelque jour coucher chez nous, nous causerions.

V.