1766-08-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

J'ai reçu, mon cher Cicéron, une Lettre du 8 aoust (puisque les Welches ont fait aoust d'auguste).
Cette Lettre m'a transporté de joie; j'ai vu que le plus généreux de tous les hommes me donne le tître de son ami; je veux mériter et conserver jusqu'au dernier moment de ma vie un tître qui m'est si cher. J'ai sur le champ dressé de petits mémoires pour Mr le Duc de Praslin, Mr le Duc De Choiseuil et M. De St Florentin, que Made De St Julien, parente de Mr le Duc De Choiseuil, et qui est actuellement chez moi, doit porter à Paris. Elle part dans deux jours, et nous servira de tout son pouvoir.

Mais aujourd'hui je reçois une lettre du 11e aoust qui me perce le cœur. Vous n'y êtes plus mon ami, vous m'écrivez Monsieur. Fy! que cela est horrible de se rétracter! Je ne veux pas vous en croire, je m'en tiens à la première lettre, et je déchire la seconde. J'ai déjà répondu à la première, et cette petite réponse vous parviendra dans le paquet de Mr d'Amilaville, dont Made De St Julien a bien voulu encor se charger.

Je vous répète icy combien je m'intéresse à l'affaire qui vous regarde, et à quel point je suis étonné que Mr De La Luzerne n'ait pas pleinement gagné son procez. Je suis persuadé que vous viendrez à bout de tout; mais je vous dirai toujours que si nous n'obtenons pas l'évocation pour les Sirven, je suis bien sûr que vous obtiendrez les suffrages de tout le public. L'esquisse du mémoire que vous eûtes la bonté de m'envoier, il y a quelques mois, me parut devoir produire un morceau admirable, fait pour être lu avec avidité par tous les ordres de l'état, et pour confirmer la haute réputation où vous êtes. La véritable éloquence, et même la langue, sont d'ordinaire trop négligés à vôtre barreau, et les plaidoiers de nos avocats n'entrent point encor dans les bibliothèques des nations étrangères. Je ne connais guère que vôtre mémoire pour les Calas qui ait eu de la réputation en Europe; il a été jusqu'à Moscou.

Adieu mon cher Cicéron, je me mets aux pieds de made vôtre femme. Ne m'ôtez jamais le beau tître que vous m'avez donné.