à Shwessingen 1er aoust [1758]
Monsieur,
Les agréments de la cour palatine ne m'empéchent pas de songer à la gloire de Pierre le grand et au soin que vous prenez de l'immortalizer.
Les mémoires que votre excellence a bien voulu m'envoier seront mes guides. Je ne vous avais envoié la première esquisse que pour savoir de vous si L'ordre dans lequel j'ay travaillé est en général conforme à vos vues. Les faits, les dattes s'arrangeront aisément et pour peu que j'aye de la santé, le bâtiment dont vous aurez fourni tous les matériaux sera bientôt achevé.
Permettez moy monsieur de joindre icy un petit mémoire des nouvelles instructions que je demande au sujet des remarques sur la première esquisse.
Au reste je regarde les médailles de sa majesté l'impératrice comme la marque la plus flatteuse de votre bienveillance et comme un témoignage de la perfection où les arts sont parvenus dans votre empire.
J'ay eu l'honneur de voir à la cour de L'Electeur palatin le jeune Mr de Voronsof, il est une preuve que l'esprit est formé de bonne heure dans votre pays. Mais vous monsieur vous en êtes une preuve plus frappante. J'apprends que vous n'avez que vingt cinq ans, et je suis étonné de la profondeur et de la multiplicité de vos connaissances. De tels exemples redoublent la reconnaissance qu'on doit à Pierre le grand d'avoir amené tous les arts dans un pays où les hommes naissent avec tant de génie.
Mon attachement redouble pour vous monsieur aussi bien que la reconnaissance avec la quelle j'ay l'honneur d'être
Monsieur
de votre excellence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
Le Baron de Stralemberg n'est-il pas en général un homme bien instruit? Il dit en éffet qu'il y avait seize gouvernements; mais que de son temps ils furent réduits à quatorze. Aparemment depuis lui, on a fait un nouveau partage.
La Livonie n'est-elle pas la province la plus fertile du nord? Si vous remontez en droite ligne quelle province produit autant de froment qu'elle?
Brême étant plus éloignée de la Livonie que Lubek, et étant bien moins puissante, est-il vraisemblable qu'elle ait commercé avec la Livonie avant Lubke?
En 1514 L'ordre Teutonique n'était-il pas suzerain de la Livonie? Albert de Brandebourg ne céda t'il pas ses droits à Gautier de Plettanberg en 1514? Et le grand prieur de Livonie ne fut-il pas déclaré prince de l'Empire germanique en 1530? Ces faits sont constatés dans la plus part des annalistes allemands.
Il est dit dans le petit éssai envoïé cy-devant que le capitaine Chancelor remonta la Rivière de la Duina. Mais il n'est point dit qu'il arriva à Moscou par eau; ce qui eût été absurde.
On lit dans l'histoire du commerce de Venise que les vénitiens avaient bâti le petit bourg qu'ils appelaient Tana, vers la mer noire, et de là vient le proverbe vénitien né à la Tana. Les génois s'en emparèrent depuis. Cependant les remarques envoïées par Monsieur de S m'apprennent que les génois bâtirent Tana.
Pour ce qui regarde les Lapons il y a grande aparence que s'étant mêlez avec quelques natifs du nord de la Finlande, leur sang a pû en être altéré. Mais j'ai vû, il y a vingt ans, chez le Roi Stanislas, deux Lapons dont le roi Charles 12 lui avait fait présent. Ils étaient probablement d'une race pûre. Leur beauté naturelle s'était parfaitement conservée. Leur taille était de trois pieds et demi, leur visage plus large que long, des yeux très petits, des oreilles immenses. Ils ressemblaient aux hommes à peu près comme les singes. Il est vraisemblable que les Samoyedes ont conservé toutes leurs grâces, parce qu'ils n'ont pas eu l'occasion de se mêler aux autres nations, comme les Lapons ont fait. L'un et l'autre peuple parait une production de la nature faitte pour leur climat, comme leur rangifères ou rennes. Un vrai Lapon, un vrai Samoyède, un rangifère, ont bien l'air de ne point venir d'ailleurs.
Si du temps de ce Cosaque, qui selon le baron de Straleimberg découvrit, et conquit la Sibérie avec six cent hommes, les chefs des Sibériens s'appellaient Tsars, comment le tître peut-il venir de César? Est-il probable qu'on se fût modelé en Sibérie sur l'Empire Romain?
Knes signifie t-il originairement duc? Ce mot Duc aux dixième et onzième siècles était absolument ignoré dans tout le nord. Knes ne signifie t-il pas seigneur? ne répond t-il pas originairement au mot Baron? n'appellait-on pas Knes un possesseur d'une terre considérable? ne signifie t-il pas chef? comme Mirza ou Kan le signifie? Les noms des dignités ne se raportent éxactement les uns aux autres en aucune langue.
Je suis bien aise que l'agriculture n'ait jamais été négligée en Russie. Elle l'a beaucoup été en Angleterre, et encor plus en France, et ce n'est que depuis environ quatre vingt ans que les Anglais ont sçu tirer de la terre tout ce qu'ils en pouvaient tirer. Leur terre est très fertile en froment, et cependant ce n'est que depuis peu de temps qu'ils sont parvenus à s'enrichir par l'agriculture; il a fallu que le gouvernement donnât des encouragements à cet art qui parait aisé, et qui est très difficile.
Je suis fort surpris d'apprendre qu'il était permis de sortir de Russie, et que c'était uniquement par préjugé qu'on ne voïageait pas. Mais un vassal pouvait-il sortir sans la permission de son boyard? Un Boyard pouvait-il s'absenter sans la permission du Csar?
Je voudrais savoir quel nom on donnait à l'assemblée des boyards qui élût Michel Federowisch? J'ai nommé cette assemblée sénat en attendant que je sache quel était sa vraie dénomination. Pourrait-on l'appeller Diétte? Convocation? Enfin, était elle conforme, ou contraire aux loix?
Quand une fois la coutûme s'introduisit de tenir la bride du Cheval du Patriarche, cette coutume ne devint elle pas une obligation ainsi que l'usage de baiser la pantoufle du Pape? et tout usage dans l'Eglise ne se tourne t-il pas bientôt en devoir?
La question la plus importante, est de savoir s'il ne faudra pas glisser légèrement sur les événements qui précèdent le règne de Pierre le grand, afin de ne pas épuiser l'attention du Lecteur qui est impatient de voir tout ce que ce grand homme a fait?
On suivra éxactement les mémoires envoïés.
A L'égard de L'orthographe, on demande la permission de se conformer à l'usage de la langue dans la quelle on écrit, de ne point écrire Moskwa mais Mosca, d'écrire Veronise, Moscou, Alèxiovis etc . . . . On mettra au bas des pages les noms propres tels qu'on les prononce dans la Langue Russe.
nB. Il serait nécessaire que je fusse instruit du temps où les diverses manufactures ont été établies, de la manière dont on s'y est pris et des encouragemens qu'on leur a donnez.