1765-08-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Il faut d'abord rendre compte à mes anges du voiage de Mlle Clairon.
Elle a joué supérieurement Aménaïde; mais dans l'Electre elle aurait ébranlé les alpes et le mont Jura. Ceux qui l'ont entendue à Paris disent qu'elle n'a jamais joué d'une manière si neuve, si vraie, si sublime, si étonnante, si déchirante; voilà ce que vous perdez, messieurs les Welches. Mais vraiment j'apprends que vous en faittes bien d'autres. Vous ne voulez pas qu'on grave Made Calas et ses enfans; vous craignez que celà ne déplaise à mr David, et à huit conseillers de Toulouse. Graver made Calas! la grande police ne peut souffrir un pareil attentat. Ma foi, messieurs les Welches, on vous sifle d'un bout de l'Europe à l'autre, et il y a longtemps que celà dure; cependant je vous pardonne en faveur des âmes bien nées, et véritablement françaises qui sont encor parmi vous, et surtout en faveur de mes anges. J'espère que l'attention polie qu'on a eue pour messieurs de Toulouse, n'empêchera pas que l'estampe ne soit très bien débitée.

J'ai deux grâces à vous demander: la première de vouloir bien me dire ce que c'est qu'un mr Barreau que je soupçonne être employé dans les bureaux des affaires étrangères. Il m'a envoié de Versailles quelques remarques sur le Siècle de Louïs 14, qui me paraissent d'un homme parfaittement instruit de tous les détails. C'est une bonne connaissance à cultiver.

Vous pouriez encor me dire, s'il y a eu des secrétaire d'ambassade en tître d'office avant qu'on eût proposé ce tître, à cet étonnant et extravagant Déon de Beaumont qui travaillait aux feuilles de Freron avant d'être capitaine et plénipotentiaire. Mr De Saintefoi ou celui qui est chargé du dépôt, pourait vous dire s'il y a eu en éffet des secrétaires d'ambassade à Venise, nommés par la cour, s'il y a eu un traittement et des honneurs affectés à cette place, et si Jean Jaques Rousseau en a jouï lorsqu'il accompagna Mr De Montaigu dans son ambassade à Venise.

Ces petites notices sont nécessaires aux barbouilleurs comme moi qui se mêlent d'être historiens, et à qui on fait toujours des chicanes. Vous me ferez un extrême plaisir de me fournir quelques instructions sur ces bagatelles comme vous m'en avez fourni sur la prétendue ambassade du marquis de Tallerand en Russie.

A propos de Russie, l'impératrice a écrit une Lettre charmante au neveu de l'abbé Bazin. Vous voiez comme elle en use avec les Français, et vous sentez bien que feu Mr son mari aura tort dans la postérité.

V.

Respect et tendresse.

Ayez donc la bonté de me renvoyer l'ouvrage du jeune exjésuite contresigné duc de Pralin. Je reçois tous les jours de gros paquets contresignez. On ne fait nulle difficulté quand des paquets sont pour ceux auxquels ils sont adressez.