Vive Le Roy et M. Le Duc Pralin
à Ferney 10 9bre [1762]
Mon divin ange quoy que nos Suisses vendent leur sang à qui veut le payer, quoy que les génevois n'aiment pas la France passionnément, quoy que notre petit pays de Gex soit séparé du reste du monde, cependant je ne vois que des gens entousiasmez de la paix et je n'entends que des cris de joye.
Je vous prie de vouloir bien donner à monsieur le duc de Pralin ces trois mots que je prends la liberté de luy écrire. Il y a soixante et quatre ans qu'un marquis de Pralin que je peindrais, avait beaucoup de bonté pour moy. Cela m'a été d'un bon augure.
Voicy le temps des plaisirs et des spectacles. Il y avait une plaisante dédicaceà deux seigneurs de Pralin qu'on devait mettre à la tête du droit du seigneur, comédie de Jodelle du temps de Henri second, rajustée depuis peu au téâtre par un quidam.
Nous avons joué depuis peu le droit du seigneur avec tout le succez possible à Ferney. Mademoiselle Corneille a joué Collette supérieurement, elle avait une caballe contre elle, la caballe a été forcée de battre des mains.
Je soupçonne que M. de Chauvelin vous a envoyé de Turin, une fin du troisième acte de Cassandre et le quatre tout entier. Je ne voulais pas vous envoier le pièce par morceaux. J'attendais vos ordres angéliques pour vous faire parvenir la pièce entière. Mais ce que monsieur de Chauvelin aura fait, sera bien fait.
Il y a un conseiller au parlement de Toulouse qui vient, je crois, à Paris, pour rendre justice à l'innocence des Calas et gloire à la vérité. Il y a de belles âmes. Celle là sera bien digne de connaître la votre.
Je vous embrasse avec les plus tendres respects et je me mets aux pieds de madame Dargental.
V.