1762-08-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges, mon cœur est bien gros.
Je suis atterré de la piété du bailli de Froulai, et j'aime cent fois mieux le bailli du droit du seigneur. Est-il possible qu'il se soit déclaré contre les comédiens, et contre ce bon curé de St Jean de Latran? Il n'aurait jamais fait pareille infamie du temps de melle Lecouvreur, et du chevalier d'Aidie.

Mon second tourment est l'inquiétude que j'ai pour dame Catherine; j'ai bien peur que ce vieux héros de comte de Munic n'ait pris le parti de l'ivrogne Pierre Ulric. Il est généralissime. Il aime peu les dames, depuis qu'une d'elles l'a envoyé en Sibérie. Il est un peu Prussien, tout cela me donne beaucoup d'embarras.

Ma troisième douleur est l'affaire des Calas; je crains toujours que mr le chancelier me prenne le prétexte d'un défaut de formalités pour ne pas choquer le parlement de Toulouse. Je voudrais que quelque bonne âme pût dire au roi, Sire, voyez à quel point vous devez aimer ce parlement, ce fut lui qui le premier remercia dieu de l'assassinat de Henri 3, et ordonna une procession annuelle pour célébrer la mémoire de st Jacques Clément, en ajoutant la clause, qu'on pendrait, sans forme de procès, quiconque parlerait jamais de reconnaître pour roi, votre aïeul Henri 4.

Henri 4 gagna enfin son procès, mais je ne sais si les Calas seront aussi heureux; je n'ai d'espoir que dans les chers anges, et dans le cri public. Je crois qu'il faut que mrs Beaumont et Mallart fassent brailler en notre faveur tout l'ordre des avocats, et que de bouche en bouche, on fasse tinter les oreilles du chancelier, qu'on ne lui donne ni repos ni trêve, qu'on lui crie toujours Calas! Calas!

Ma quatrième inqui étudevient de la famille d'Alexandre. Je l'ai envoyée à l'électeur palatin en lui disant qu'il ne fallait point la faire jouer, et sur le champ il a distribué les rôles. Je vais lui écrire pour le prier de ne la point imprimer, et il l'imprimera. Je crois que pour me dépiquer je serai obligé d'en faire autant. Je suis presque aussi content de Cassandre qu'un palatin; mais il se pourrait faire que mon extrême dévotion dans cet ouvrage, ma confession, ma communion, ma Statira mourant de mort subite, mon bûcher donnassent quelque prise à mes bons amis les Fréron et consorts. J'ai écrit la pièce de mon mieux, mais je crois qu'il faut accoutumer le public par la voie de l'impression, à toutes ces singularités théâtrales; c'est, à mon sens, le meilleur parti, d'autant plus qu'étant dans le goût des commentaires, j'en ai fait un sur cette pièce, qui est extrêmement profond, et merveilleux; me Joli de Fleury pourrait en être tout ébouriffé.

Je vous enverrai Hérode et Marianne incessamment. Vous y verrez une espèce de janséniste, essenien de son métier, que j'ai substitué à Varus, comme je crois vous l'avoir déjà dit. Ce Varus m'avait paru prodigieusement fade. Je baise toujours du meilleur de mon cœur le bout de vos ailes, et présente mes respects et remerciements à madame Dargental.

V.