J'ai un petit moment pour répondre à la lettre du 2e juillet, par le courrier de Lyon à Versoy.
Il me paraît que la littérature est comme ce monde, il y a de l'or et de la fange. Vous êtes mon or, mon cher ami. Je crois qu'il est très convenable que le roi de Prusse souscrive et qu'on rende à Jean Jaques son denier, que la conduite de ce misérable Fréron soit approfondie et que l'on connaisse ce misérable Fréron qui a été si longtemps l'oracle de made Du Deffant.
Vous êtes ami de l'archevêque de Toulouse. Je suis persuadé que vous l'avez mis au rang des souscripteurs puisqu'il est notre confrère; mais ce n'est pas assez, il faut qu'il soit au rang des vengeurs de l'innocence. Toute la jeunesse du parlement de Toulouse est devenue philosophe et j'en reçois tous les jours des témoignages évidents, mais les vieux sont encore des druides barbares.
Made Calas que j'embrassai hier avec tous ses enfants, m'apprit que le preur général Riquet avait conclu à la faire pendre et à rouer un de ses fils avec Lavaysse. Nous avons contre nous ce pr général de Belzébut dans l'affaire de Sirven; nous demandons des dédommagements considérables, et on nous les doit. Riquet s'y oppose. Pouvez vous nous donner la protection de l'archevêque? Il faut se lier quelquefois avec ses anciens ennemis contre des ennemis nouveaux.
Je suis un peu en guerre avec Genêve pour avoir recueilli chez moi une centaine de genevois, et pour avoir établi sur le champ une manufacture considérable rivale de la leur. Je suis obligé de bâtir plus de maisons que je n'ai fait de livres; Mr le duc de Choiseul me soutient de toutes ses forces, il fait son affaire de la mienne; made la duchesse de Choiseul l'encourage encore, et nous lui avons les dernières obligations. La tolérance universelle est établie chez moi plus qu'à Venise.
Made de Choiseul est intime amie de made Du Deffant.
Vous voyez d'un coup d'œil la situation délicate où je me trouve.
Elle l'est bien davantage par rapport à vôtre Encyclopédie; Pankouke pourra vous en informer.
Voilà bien des fardeaux pour un malade de soixante et seize ans.
Mandez moi, s'il vous plaît, si mr et made de Choiseul ont souscrit, ou s'ils l'ont oublié. Il est très nécessaire qu'ils souscrivent.
Portez vous bien, mon grand et véritable philosophe, et vivez pour faire respecter la raison et l'esprit.
N. B. Je crois la Grèce entière libre au moment que je vous parle. Voulez vous que nous allions y faire un tour?
ce 7e juin[July] 1770.