27e avril 1770 à Versoy pour Ferney
Il n'y a pas d'aparence, mon cher philosophe, mon cher ami, que ce soit à Voltaire vivant; ce sera à Voltaire mourant, car je n'en puis plus; et depuis quelques jours je sens que je suis au bout de mon écheveau.
Je me regarde dans vôtre entreprise illustre comme vôtre prête nom. On veut dresser un monument contre le fanatisme, contre la persécution. C'était vous, c'était Mr Diderot qu'il fallait mettre là. Je me tiens pierre d'attente.
N'allez pas aureste y mettre une barbe de Capucin, car tout capucin que je suis je n'en porte point la barbe.
Il ne serait pas mal que Fréderic se mit au rang des souscripteurs. Celà épargnerait de l'argent à des gens de Lettres trop généreux qui n'en ont guères. Il me doit cette réparation; et vous êtes le seul qui soiez à portée de lui proposer cette bonne œuvre philosophique. Il vous a envoié sans doute le petits ouvrage qu'il a composé en dernier lieu, dans le goût de Marc-Aurele, pendant qu'il avait la goute. Cela sent encor plus son Frederic que son Marc-Aurele.
Je vous suis très obligé de l'article de Mr Duclos. Je vous suplie de l'en bien remercier. Il est clair par ce nom même d'Audouard qui est actuellement en fuite, qu'il y a beaucoup de turpitude dans toute cette affaire. On m'assure que Fréron jouait alors le rôle d'espion à Rennes, et qu'il l'est à Paris. Voilà la source cachée de la protection qu'il obtient.
L'anecdote de la chaine dont maître Aliboron tenait le bout est curieuse, et tout à fait digne de ceux qui protègent ce maraut. Il est plaisant que Pakouke ait l'honneur d'être lié avec vous et avec Mr Diderot, après avoir imprimé tant de sotises atroces contre vous deux dans les ordures de ce folliculaire. Il a eu même la bêtise d'imaginer d'en faire une édition nouvelle par souscriptions. L'éxcez de ce ridicule l'a couvert de honte. J'ai peur que ce pauvre Pankouke ne fasse une mauvaise fin.
Il est vrai que les feuilles de maître Aliboron eurent d'abord un cours prodigieux, et furent l'école de tous les petits provinciaux; mais celà est tombé aufond de la bourbe du fleuve de l'oublie, avec les ouvrages extravagants de Jean Jaque qui vaut pourtant beaucoup mieux que lui.
Adieu, mon digne et illustre ami, et si mon mal de poitrine augmente, adieu pour toujours.