15e auguste 1776
Courage, courage, mon cher ami, mon cher confrère; vous allez de victoire en victoire pones inimicos tuos scabellum pedum tuorum.
Le journal littéraire dont Pankouke a le privilege, vous donnera gloire et profit; car je suis bien aise de vous dire que personne n'écrit mieux que vous en prose. J'ai fait relier ensemble tous les morceaux qui sont de vous dans les mercures; celà me fait un petit volume que je ne donnerais pas pour les milliers de mercures qui sont au monde.
N'aurez vous pas quelques sûreté de la part du ministère, Laquelle vous donnera le droit exclusif de travailler au nouveau journal que vous entreprenez?
Je reçois une Lettre de Mr Pankouke, et je vais faire tout ce que vous me mandez.
Mr D'Alembert et vos autres amis font, ce me semble, une œuvre bien patriotique et bien méritoire d'oser deffendre en pleine académie, Sophocle Corneille, et Euripide Racineb, contre Gilles Shakespeare, et Pierrot Le Tourneur. Il faudra se laver les mains après cette bataille, car vous aurez combattu contre des gadouards. Je ne m'attendais pas que la France tomberait un jour dans l'abîme d'ordures où on la plonge. Voilà l'abomination de la désolation dans le lieu saint. Je n'ai pas eu le tems, mon très cher confrère, de donner à mon discours patriotique la rondeur et la force dont il a besoin. Vous avez peut être entendu dire que je suis masson, et tout le contraire de Sedaine. Il a quitté la truelle pour la Lyre, et moi la Lyre pour la truelle. C'est en bâtissant à la fois plus de maisons que n'en a le soleil, c'est au milieu de deux cent ouvriers, c'est avec une santé déplorable que j'ai broché ma petite diatribe.
Ma principale intention et le vrai but de mon travail, sont que tout le public soit bien instruit de tout l'excez de la turpitude infâme qu'on ose oposer à la majesté de nôtre théâtre. Il est clair qu'on ne peut faire connaître cette infamie qu'en traduisant littéralement les gros mots du délicat Shakespare. Il est vrai qu'il ne faut pas prononcer à haute voix dans le Louvre ce qu'on prononce tous le jours si hardiment à Londres. Mr D'Alembert ne s'abaissera pas jusqu'à faire sonner devant des Dames, la bête à deux dos, fils de putain, pisser, dépuceler, etc.a Mais Mr D'Alembert peut s'arrêter â ces mots sacramentaux, il peut en suprimant le mot propre, avertir le public qu'il n'ose pas traduire le décent Shakespear dans toute son énergie. Je pense que cette réticence et cette modestie, plairont à l'assemblée, qui entendra beaucoup plus de malice qu'on ne lui en dira.
C'est à peuprès ce que j'ai mandé à Mr D'Alembert, et je vous prie d'obtenir de lui la grâce, que je lui demande, après quoi je pourai à tête reposée faire un éxamen plus étendu du théâtre français, et de la foire de Londre. Je sais bien que Corneille a de grands défauts, je ne l'ai que trop dit, mais ce sont les défauts d'un grand homme, et Rymer a eu bien raison de dire que Shakespear n'était qu'un vilain singe.
Adieu, mon cher ami, je finis car je suis trop en colère.
V.