1760-06-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Je voudrais que Tiriot m'envoiât les nouvautez et surtout le mémoire de M. LEFRANC DE POMPIGNAN, natif de Montauban, et Tiriot m'abandonne.

Je voudrais avoir perdu touttes mes vaches, et qu'on n'eût pas mêlé made de Robec dans la vision, parce que c'est un coup terrible à la bonne cause, par ce que tous les amis de cette dame luy cachaient son état, parce que le profète luy a appris ce qu'elle ignorait, et luy a dit, morte morieris, parce que c'est avancer sa mort, par ce qu'elle n'avait d'autre tort que de protéger une pièce dont elle ne sentait pas les conséquences, par ce qu'elle n'aurait jamais persécuté aucun philosophe, par ce que cette cruauté de luy avoir apris qu'elle se meurt est ce qui a ulcéré M. le D. de Ch., par ce que je le sçais; et je le sçais par ce qu'il me l'a écrit, et je vous le confie, et vous n'en direz rien.

Je voudrais que mon cousin Vadé eût pu parler de la querelle présente, mais comme il est mort deux ans auparavant, et qu'il n'était pas profète, il ne pouvait avoir une vision.

Je voudrais voir après ces déluges de plaisanteries et de sarcasmes quelque ouvrage sérieux et qui pourtant se fît lire, où les philosophes fussent pleinement justifiez et l'infâme confondue.

Je voudrais que les philosophes pussent faire un corps d'initiez et je mourrais content.

Je voudrais pouvoir vous envoier une seconde réponse que je viens de faire à une seconde lettre de Palissot, réponse qui passe par mr Dargental, réponse dans la quelle je luy prouve qu'il a déféré et calomnié le chevalier de Jaucourt, ce qu'il me niait, qu'il a confondu Lamétrie et les philosophes, qu'il a falsifié les passages de l'enciclopédie etc. Je luy parle paternellement. Je luy fais un tableau du bien que l'enciclopédie faisait à la France. Puis vient un Abraham Chaumex qui fournit des mémoires ab[s]urdes à mr Joli de Fleuri, frère de l'intendant de ma province, Joli croit Chaumex, le parlement croit Joli, on persécute et c'est dans ces circomstances que vous venez, vous Palissot, percer des gens qu'on a garottez. Vous les calomniez. Votre feuille peut être lue de la reine et des princes qui lisent volontiers une feuille et qui ne confronteront point 7 volumes in folio, etc. Vous faites un très grand mal. Qu'y a t'il à faire? Votre pièce a réussi. Il faut ajouter à ce succez la gloire de vous rétracter — il n'en fera rien — et alors j'aurai l'honneur de vous envoier ma lettre. Je la crois hardie et sage. Nous verrons si mr Dargental la trouvera telle.

Je voudrais savoir quel est l'ouvrage au quel vous vous occupez. On dit qu'il est admirable. Je le crois. Il n'y a que vous qui écriviez toujours bien, et Diderot parfois. Pour moy je ne fais plus que des coyoneries.

Je voudrais vous voir avant de mourir.

Je voudrais que Roussau ne fût pas tout à fait fou mais il l'est. Il m'a écrit une lettre pour la quelle il faut le baigner et luy donner des bouillons rafraichissants.

Je voudrais que vous écrazassiez l'infâme, c'est là le grand point. Il faut la réduire à l'état où elle est en Angleterre, et vous en viendrez à bout si vous voulez. C'est le plus grand service qu'on puisse rendre au genre humain.

Adieu mon grand homme, je vous embrasse tendrement.