1760-06-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'ay reçu mon cher et ancien ami touttes les archives de l'esprit et de la raison, de l'horreur et de la méchanceté, du pour et du contre, de la persécution contre les philosophes et de leur juste deffense.
Il me manque la vision. On dit qu'il y a des pourquoy, des ouy et des non nouvaux qui sont aussi bons que les que. Je les attends aussi. Il faut que j'aye touttes les pièces du procèz. Il est intéressant.

J'étais dans un bosquet de roses quand je reçus votre paquet. Je me flatte que je ne sentirai pas les épines de cette dispute. Voilà donc Robin mouton envoyé à la boucherie! esce pr la vision qu'on a saisi Robin? et cette vision est elle bien de Grim? Je soupçonne que Grim est de la trouppe des profètes, mais que l'esprit ne descend pas sur luy seul.

Il serait bien à désirer que les frères fussent unis. Ils écraseraient leurs indignes adversaires qui les mangent l'un après l'autre. Il faudrait que les Da, Dé, Di, Do, Du, les h, les g, etc. soupassent tous ensemble deux fois par semaine.

Mes enfans aimez vous les uns les autres, si vous pouvez. Votre ennemi vous a dit ou plutôt redit

que nous sommes perdus si nous nous divisons.

Par quelle dure fatalité arrive t'il que j'aye la réponse de Ramponeau et que je n'aye pas le factum de M. Beaumont contre Ramponeau? Il n'y avait qu'un exemplaire de ce factum dans notre petite province. Je ne l'ay tenu qu'un instant. Je l'ay lu rapidement mais avec grand plaisir, et j'ay eu la bétise honnête de le rendre. Voyez combien les philosofes sont honnêtes gens, quoy qu'en dise Palissot! Je vous envoye la seule copie de la réponse que j'aye en main. Elle est d'un homme de l'académie de Dijon. Cela m'a paru guai et je n'aime plus que ce qui est guai. Je veux passer (encor une fois) le reste de ma vie à lire et à rire.

Vous trouverez sans doute quelque bon citoyen qui se fera un plaisir de publier le plaidoyer de Ramponeau. Je voudrais avoir de plus belles choses à vous envoier et de plus longues, mais il en vient rarement de bonnes choses de la province. Les fétiches du président de Brosses n'ont pas eu grand cours. Le discours même du prd de Montauban n'est pas recherché. C'est la pierre sur la quelle on va aiguiser ses couteaux, mais pr la pierre, elle est au rebut.

A propos mon cher correspondant, je n'ay point L'interprétation de la nature. Je vous prie de me la faire tenir. N'auriez vous point les deux derniers volumes de Warburton Moses legation? ils me manquent au besoin.

La préface de Palissot est pire que son ouvrage. Il impute aux enciclopédistes des passages de la Métrie, passages horribles, mais que la Métrie luy même réfute. Il supprime la réfutation, il présente ce poison à la cour pour faire croire que ce sont nos philosophes qui l'ont apprêté. Je n'ay point ce livret de la Metrie de la vie heureuse. Pouvez vous me faire avoir touttes les œuvres de ce fou? Vous devriez courir chez mr Dalembert qui ne sait pas peutêtre combien ces passages sont altérez, car ce livre est je crois très rare. Je pense qu'il faudrait faire un ouvrage sage, ferme et piquant, où tous les tours de mauvaise foy des ennemis de la raison fussent relevez! qui le peut mieux que mr Dalambert? Mais ce pauvre robin, ce pauvre robin mouton! pr dieu envoyez moy la vision.

Palissot m'aécrit, j'ay répondu. Je vous enverrai ma lettre. Cela est curieux.