1760-06-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Mon cher philosophe et mon maitre, les si, les pourquoy sont bien vigoureux.
Les remarques sur la prière du déiste, fines, et justes; cela restera. On pourait y joindre les que, les oui, les non, parce qu'ils sont plaisants, et qu'il faut rire. On a oublié le cadavre sur le quel on vient de faire touttes ces expériences, et les expériences subsisteront. La vision est bien, mais c'est un grand malheur et une grande imprudence d'avoir mêlé dans cette plaisanterie made la princesse de Robec. J'en suis désespéré, ce trait a révolté. Il n'est pas permis d'insulter à une mourante. M. le duc de Choiseuil doit être irrité. On ne pouvait faire une faute plus dangereuse. J'en crains les suittes pour la bonne cause. On a mis en prison Robin mouton du palais royal. Cela peut aller loin. Cette seule pierre d'achopement peut renverser tout l'édifice des fidèles.

Palissot m'a écrit en m'envoyant sa pièce. J'ay prié mr Dargental de vouloir bien luy faire passer ma réponse, et d'en faire tirer copie né varietur. Je luy dis dans cette réponse que je regarde les enciclopédistes comme mes maitres etc.

Sa lettre porte qu'il n'a fait sa comédie que pour vanger mesdames de Robec et de la Marc d'un libelle insolent de Diderot contre elles, libelle avoué par Diderot. Je luy dis que je n'en crois rien, je luy dis qu'on doit éclaircir cette calomnie, et voylà que dans la vision on insulte madame la princesse de Robec. Cela est désespérant. Je ne peux plus rire. Je suis réellement très affligé.

Dès que la préface ou postface de la comédie des philosophes parut, je fus indigné, j'écrivis à Tiriot. Je le priai de vous parler et de chercher le malheureux libelle de la vie heureuse du malheureux la Metrie qu'on veut imputer à des philosophes. La cour ne sait point d'où sont tiréz ces passages scandaleux et les attribuera aux frères et, dira, Palissot est le vangeur des mœurs, et on coffrera les frères et on aura les philosophes en horreur.

O frères soyez donc unis. Fratrum quoque gratia rara est.

Mondez moy je vous en supplie où l'on en est. On fera sans doute un receuil des pièces du procez. Serait il mal à propos de mettre à la tête une belle préface dans la quelle on verrait un parallelle des mœurs, de la science, des travaux, de la vie des frères, de leurs belles et bonnes actions, et des infamies de leurs adversaires?

Mais ô frères soyez unis.

Quand je vous écrivis en beau stile académique je m'en fous, et que vous me répondîtes en beau stile académique que vous vous en foutiez, c'est que je riais comme un fou d'un ouvrage de quatre cent vers fait il y a quelque temps, où Fréron et Pompignan et Chaumex jouent un beau rôle. On dit que ce poème est imprimé. Il est je crois de feu Vadé, dédié à maître Abraham, et mtre Joli est prié de le faire brûler. La palissoterie est venue sur ces entrefaittes, et j'ay dit, ah Vadé pourquoy êtes vous mort avant la palissoterie?

Et alors on m'envoyait de mauvais quand et de mauvais pourquoy contre moy, et je disais je m'en fous en stile académique.

Je vous enverrai le catéchisme neutonien, mais pas sitôt. Il faut l'achever, le copier, faire les figures, et voylà Pierre le grand qui me talonne et qui me fait oublier mon catéchisme. Mais je n'oublie pas vos bontez.

Et dittes au diacre Tiriot qu'il persévère dans son zèle, et qu'il m'envoye touttes les pièces des fidèles et touttes celles des fanatiques et des hipocrites ennemis de la raison, et soyez unis en Epicure, en Confucius, en Socrate et en Epictete, et venez aux Délices qui sont devenues l'endroit de la terre qui ressemble le plus à Eden, et où l'on se fou de mtre Joli, et de mtre Chaumex. Cependant mon ancien disciple Roy est un peu follet, et je le luy ay écrit, et il n'en est pas disconvenu. Dieu vous comble toujours de ses grâces, et vivez indépendant, et aimez moy.

V.