1760-07-01, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Je trouve, mon cher Philosophe, que deux ans de séjour aux Champs Elisées ont très bien fait au cousin Vadé, et que pour cette fois seulement

Moins vaut Goujat debout que Goujat enterré.

Cette pièce fourmille de vers à retenir; Tout le monde les sçait par cœur, & il n'y a de bons vers que ceux qu'on retient.

J'ai grondé Tiriot, et vous devez avoir reçu le mémoire de mr le Franc de Pompignan, qui depuis que les Quand l'ont foutu, a foutu le camp de l'académie françoise, & ne vient plus qu'aux services des académiciens morts, parce que c'est, dit-il, un devoir de Chrétien.

Encore une fois, mon cher Philosophe, soyez sûr que made de R. n'est qu'un prétexte à la persécution; soyez sûr qu'on a accordé de tout temps à Palissot la protection la plus éclatante, soyez sûr qu'on a fait joüer sa pièce, et que nul autre ne l'a fait joüer, soyez sûr qu'on est bien démasqué, et que voilà ce qui déplait, soyez sûr qu'il n'y a pas une âme à Paris qui prennent le change sur cela, soyez sûr qu'on vous ménage & qu'on vous trompe parce qu'on vous craint, & que vous n'avez rien à craindre, & qu'on persécute les gens de lettres parce qu'on est jugé et estimé ce qu'on vaut.

Je n'ai rien à ajouter à ce que je vous ai dit de made du Deffand; soyez sûr encore qu'elle est à la tête des partisans de la Pièce, qu'elle protège et goûte beaucoup les feuilles de Fréron, qu'Elle trouve l' Ecossoise une bien mauvaise pièce, & qu'elle applaudit fort à une mauvaise critique qu'on dit que Freron en a faite. Soyez sûr que c'est une méchante femme, jalouse, médisante, et Tyrannique, qui ne mérite pas le tems que je perds à vous en parler, et dont je ne vous parlerai plus.

J'ai entendu faire beaucoup d'Eloges de vos deux lettres à Palissot, je ne les ai vües ni l'une ni l'autre; je vous remercie pour la bonne cause.

Après tout, mon cher ami, il faut toujours en revenir à la phrase académique. Il n'y a que cela de bon. Les sottises des hommes ne méritent pas autre chose, & je ne vous aurois pas étourdi de l'opprobre de notre littérature, sans l'intérêt que vous m'avez paru y prendre. J'attends la paix avec impatience pour voir quel parti je prendrai, mais soyez sûr que je ne me mettrai de ma vie au service de personne.