6 juillet [1760]

Mon cher ange, il faut faire ses foins et ses moissons à la fois, veiller à son bâtiment, apprendre ses rolles pour les comédies que nous allons joüer, avoir une correspondance suivie avec ma cousine Vadé, avec M^r Kouranskoy, cousin germain de M^r Aléthof, avec le frère de la doctrine chrétienne, auteur de la vanité; cependant M^r de Courteilles qui s'en va aux eaux de Vichy me laisse en proye aux publicains, maudits dans l'Ecriture, et quoi qu'il soit démontré que je ne suis point seigneur de la Perrière, on veut me faire paier les dettes du Roy.
Lefranc de Pompignan ne me traitterait pas plus rudement; M^r Le Duc de Richelieu s'enfuit à Bordeaux sans me faire réponse, et sans m'envoyer un passeport que je lui ai demandé pour un pauvre Diable de Gascon hérétique, et voilà mon hérétique sur le point d'être ruiné. Malgré tout cela, mon divin ange, voicy encor quelques corrections nécessaires, que le traducteur de M^r Humes vous envoye; M^tre Aliboron, dit Fréron, est un ignorant bien imprudent de dire que le poëte prêtre Humes, n'est pas frère de Humes l'athée. Il ne sçait pas que Humes le prêtre a dédié une de ses pièces à son frère.

J'avais tant crié après le mémoire du s^r Lefranc de Pompignan qu'on m'en a envoié trois par la dernière poste; heureusement le frère de la doctrine chrétienne, et M^r Koukanskaj, cousin germain de m^r Aléthof, en avaient chacun un.

Mon divin ange, je ne peux regarder Médime d'un mois, il ne faut pas se morfondre et s'appesantir sur son ouvrage, celà glace l'imagination.

A la façon dont vous parlez, on dirait que mad^e de Robec est morte; j'en suis fâché; la mort d'une belle femme est toujours un grand mal. Est-il vrai que madame du Deffant prend parti contre la philosophie, et qu'elle m'abandonne indignement? Comment suis-je auprès de M^r le Duc de Choiseuil? a t-il fait voir à mad^e de Pompadour l'élucubration de M^r de Kouranskoy?

Je vous conjure de vous servir de toute vôtre Eloquence pour lui dire que s'il arrive malheur à Luc, il n'en résultera pas malheur à la France, que le Brandebourg restera toujours un Electorat; qu'il est bon qu'il n'y ait point d'Electeur assez puissant pour se passer de la protection du Roy; que tous les princes de l'Empire auront toujours recours à cette protection contra l'aquila grifagna. N.B: que si Luc était déconfit cette année nous aurions la paix l'hiver prochain.

M^lle Vadé se recommande à Robin mouton.

Mon divin ange, donnez des copies de ma Lettre paternelle à Palissot. Où est donc la difficulté de mettre trois étoiles au lieu de vôtre nom? de dire la personne à qui je me suis adressée, ou de mettre tout ce qui vous plaira?

Mais revenons à l'Ecossaise. Qui sont les malintentionez qui prétendent que ce n'est pas une traduction, et qui veulent la mettre sous mon nom pour la faire tomber? Ah les méchantes gens!

Il y a encor des malvivants qui prétendent que je ne suis pas chez moi de mon bon gré, qui l'impriment, qui veulent le faire croire. Fy, que celà est vilain! Il faut bien dire, bien soutenir qu'il ne tient qu'à moi d'aller rire à leur nez à Paris, mais que j'aime mille fois mieux rire où je suis. Il faut qu'ils sachent que je suis heureux, et qu'ils crèvent.

Il y a plus de deux mois qu'on m'a envoyé l'Epigramme, assez platte, contre Fréron. Je joins à mon paquet les Lettres originales de l'ami Palissot. Je vous prierai d'avoir la bonté de me les renvoyer.

J'ajoute mon divin ange que le commentateur de m^r Aléthoff s'est trompé dans ses nottes. Il faut mettre le 14 au lieu du 10, jour de l'aniversaire de Henri 4. Madame Scaliger n'aurait pas fait cette faute. Je luy présente mes tendres respects, et me réjouis de sa santé et je vous aime encor plus que de coutume.

V.

Un petit mot encore. Pourquoy changer le nom de Frélon? Esce la faute de Hume s'il y a un cuistre dans Paris qui porte un nom lequel a un raport éloigné au mot de frélon?

Deplus songeons que s'il est bon de rire, il est meilleur de rire aux dépends des méchants. Mais ce petit hippocrite de Joli de Fleuri, ce petit ballon noir gonflé de vapeurs puantes aura son tour si dieu n'y met la main.

Voudriez vous avoir la bonté d'ordonner que la lettre p^r Duclos luy soit rendüe? Un peu de chandelle au diable n'est pas mal.

Vous a t'on dit que cette grosse masse de chair fraiche nommée le landgrave de Hesse est en prison à Stade?

J'entends murmurer la prise de Marbourg. On ne saura que demain si la chose est vraye.

L'oncle et la nièce baisent le bout de vos ailes.

V.