27e Juin 1760
Mon cher ange pardonnera si je n'écris pas de ma main; on n'est pas de fer, quoi qu'on soit dans un siècle de fer.
Mr Tronchin est étonné que vos médecins de Paris n'ayent pas prévu la pierre bilieuse; je lui ai donné 36 £; je l'ai consulté sur le Rhumatisme, il demande des détails, et alors il dira son avis.
Il faudrait, mon divin ange, refondre l'Ecossaise; changer absolument le caractère de Frélon, en faire un balourd de bonne volonté, qui gâterait tout en voulant tout réparer, qui dirait toutes les nouvelles en voulant les taire, et qui influerait sur toute la pièce, jusqu'au dernier acte; cette pièce a été faitte bonnement, et avec simplicité, uniquement pour faire donner Fréron au Diable; elle ne pourait être supportée au Théâtre, qu'en cas qu'on la prit pour une Comédie véritablemt anglaise. Elle ressemble aux toiles peintes de Hollande, qui ne sont de débit, que quand elles passent pour être des Indes. Je vous enverrai, je crois demain, cette misère, avec quelques légères corrections; il est impossible de rien changer aux deux derniers actes, à moins de faire une pièce nouvelle; je me trompe peut être; mais je crois que le droit du seigneur vaut infiniment mieux; vous aurez le petit embélissement de la fin de Tancrède en son temps, afin de ne pas mêler les espèces.
Pour Médime, j'en ai par dessus la tête, je ne puis rien faire pour elle, je suis son serviteur et lui souhaitte toute sorte de prospérités. Vous devriez bien donner un pauvre diable à vôtre ancien portier, peut être trouverait-il quelque honnète Tipographe qui s'en chargerait pour l'édification publique. Tout le monde admire la modestie de Lefranc de Pompignan, et on voit combien le Roy et tout l'univers, prennent le parti de ce grand homme; je crois que mlle Vadé lui en dira deux mots. J'ai pris la liberté de vous adresser ma seconde réponse, à la seconde Lettre du sr Polissot. Cette Lettre le met si fortement, et si honnêtement dans tout son tort, elle justifie si pleinement Diderot, elle doit faire tellement rougir Mr Joly de Fleury sans l'offenser, elle est si mesurée et si vraye dans tous les points, que je crois que c'est une très bonne œuvre de se la laisser dérober en ôtant vôtre nom.
Vous êtes un véritable ange d'avoir fait cette démarche auprès de made la Csse de La Mark; rien n'est plus digne de vous que de protéger Diderot qui le mérite d'autant plus qu'il est malheureux. Je suis toujours émerveillé du silence de Mr Le Maréchal de Richelieu; s'il refuse un passeport à un huguenot, il faut du moins écrire à un catholique. Je suis bien affligé de la maladie de made d'Argental. Je baise le bout de vos ailes
V.