16 Juillet 1760

Vous m'écrivez, Monsieur, comme l'Eglise ordonne qu'on fasse ses pâques, à tout le moins une fois l'an.
Je voudrais que vous eussiez un peu plus de ferveur; mais aussi, quand vous vous y mettez vous êtes charmant. Je vous remercie très sincèrement de vôtre poësie et de vôtre prose; vous avez raison dans l'une et dans l'autre, et certains raisonneurs ont un peu tort.

Je suis très fâché que Palissot se soit déclaré l'ennemi des philosophes, il ne faut pas se mocquer des gens qu'on persécute; passe pour les gens heureux et insolents, c'est un grand soulagement de rire à leurs dépends.

On dit que Lefranc de Pompignan est heureux, qu'il est gros et gras, qu'il est très riche, qu'il a une belle femme, mais il a été fort insolent en parlant à ses confrères, et celà n'est pas bien. Je ne peux m'empècher de savoir bon gré au cousin Vadé, et à m^r Alethof, et même encor à un certain frère de la doctrine chrétienne d'avoir rabattu l'orgueil de ce président de Quercy. Ce n'est pas le tout d'avoir fait la prière du Déiste, il faut encor être modeste. Fy! que celà est vilain de se faire le délateur de ses confrères! Son frère L'Evêque devrait lui refuser l'absolution.

Moquez vous de tous ces gens là, et surtout de ceux qui vous ennuient.

Vivez avec vôtre maitresse; goûtez les plaisirs, et chantez les. Faittes mes compliments, je vous en prie, à Monsieur vôtre père, et à monsieur vôtre frère que j'ai vu dans un païs où certainement je ne le reverrai jamais. Si vous êtes fermier général en titre d'office, demandez le département du païs de Gex. Vous trouverez les Délices un peu plus agréables qu'elles n'étaient. Vous serez mieux logé, et nous tâcherons de vous faire les honneurs de la maison mieux que nous n'avons fait. J'ai bâti un château dans le païs de Gex, mais ce n'est pas avec la Lyre d'Amphion, son secrêt est perdu; je me suis ruiné pour avoir eu l'impertinence d'être architecte; je crois mon château fort joli, parce qu'un auteur aime toujours ses ouvrages; mais il me paraîtra bien plus agréable, si jamais vous me faittes l'honneur d'y venir.

J'admire l'impudence des ennemis de la philosophie, qui prétendent qu'il ne m'est pas permis de revenir à Paris; il ne tient qu'à moi, assurément, d'y être, et d'y souper avec m^rs Favar, Poincinet et Colardau, mais je suis trop vieux, j'aime le repos, la campagne, la charüe et le semoir.

Quand il vous prendra fantaisie de m'envoyer des vers ou de la prose, aiez la bonté de donner le paquet à m^r de Chenevières qui me l'enverra contresigné.

V. t. h. ob. s^tr

V.

16 juillet