Potsdam ce 5 Decembre 1775
Je vous ai mille obligations de la semence que vous avés bien voulu m'envoyer.
Qui aurait dit que notre Correspondance roulerait sur l'art de Triptoleme, et qu'il s'agirait qui de nous deux cultive le mieux son champ? C'est cependant le premier des arts et sans le quel il n'y aurait ni marchands, ni Courtisans, ni Rois, ni poëtes, ni Philosophes. Il n'y a de vraies richesses que celles que la Terre produit. Améliorer ses terres, défricher des champs incultes, saigner les marais, c'est faire des Conquêtes sur la barbarie, et procurer de la subsistance à des colons qui, se trouvant en état de se marier, travaillent gaiement à perpétüer l'espèce, et augmentent le nombre des Citoyens laborieux. Nous avons imité ici les prairies artificielles des Anglais, ce qui réussit très bien par où nous avons augmenté les bestiaux d'un tiers. Leur charüe et leur semoir n'ont pas eu le même succès, la charüe par ce qu'en partie, nôtre Terre est trop légère, le semoir, par ce qu'il est trop cher pour le Peuple et pour les Paÿsans. En revanche nous sommes parvenûs à cultiver la Rubarbe dans nos jardins, Elle conserve toutes ses propriétés, et ne difère point pour l'usage de celle qu'on fait venir des Paÿs orientaux. Nous avons gagné cette année 10 m. Livres de soye, et l'on a augmenté les ruches à miel d'un tiers. Ce sont là les hochets de ma vieillesse et des plaisirs, qu'un Esprit dont l'imagination est éteinte, peut goûter encore. Il n'est pas donné à tout le monde d'être Immortel, comme à vous. Nôtre bon Patriarche est toujours le même. Pour moi, j'ai déjà envoyé une partie de ma mémoire, le peu d'imagination que j'avais, et mes jambes, sur les bords du Cocyte. Le gros bagage prend les devants, en attendant que le Corps de Bataille le suive. C'est une disposition d'arrière garde à la qu'elle Feuquiere et Monsieur de St Germain donneraient leur aprobation. J'espère que vous continuerés à me donner des bonnes nouvelles de vôtre santé qui certainement ne m'est pas Indiférente, et que vous vous souviendrés quelquefois du solitaire de Sans-Souçi. Vale.
Federic