[November 1765]
Madame,
Que votre majesté impériale pardonne à ces mauvais vers. La reconnaissance n'est pas toujours éloquente. Si votre devise est une abeille, vous avez une terrible ruche; c'est la plus grande qui soit au monde. Vous remplissez la terre de votre nom et de vos bienfaits. Les plus prétieux pour moi, sont les médailles qui vous représentent. Les traits de votre majesté me rappellent ceux de la princesse votre mère.
J'ai encore un autre bonheur, c'est que tous ceux qui ont été honorés des bontés de votre majesté, sont mes amis. Je me tiens redevable de ce qu'elle a fait si généreusement pour les Diderot, les Dalembert et les Calas. Tous les gens de lettres de l'Europe doivent être à vos pieds.
C'est vous, madame, qui faites les miracles; vous avez rendu Abraham Chaumex tolérant, et s'il aproche de votre majesté, il aura de l'esprit; mais pour les capucins, votre majesté a bien senti qu'il n'était pas en son pouvoir de les changer en hommes, depuis que st François les a changés en bêtes. Heureusement votre académie va former des hommes qui n'auront pas afaire à st François.
Je suis plus vieux, madame, que la ville où vous régnez et que vous embelissez; j'ose même ajouter que je suis plus vieux que votre empire, en datant sa nouvelle fondation du créateur Pierre le grand dont vous perfectionnez l'ouvrage. Cependant je sens que je prendrais la liberté d'aller faire ma cour à cette étonnante abeille qui gouverne cette vaste ruche, si les maladies qui m'accablent me permettaient, à moi pauvre bourdon, de sortir de ma cellule.
Je me ferais présenter par Monsieur le comte de Shouvalou et par madame sa femme que j'ai eu l'honneur de posséder quelques jours dans mon petit ermitage. Votre majesté impériale a été le sujet de nos entretiens, et jamais je n'ai tant éprouvé le chagrin de ne pouvoir voyager.
Oserais je, madame, dire que je suis un peu fâché que vous vous appeliez Catherine? Les héroïnes d'autrefois ne prenaient point de nom de saintes. Homère, Virgile auraient été bien embarassés avec ces noms là. Vous n'étiez pas faites pour le calendrier.
Mais soit Junon, Minerve ou Venus ou Cérès qui s'ajustent bien mieux à la poésie en tout pays, je me mets aux pieds de votre majesté impériale avec reconnaissance et avec le plus profond respect.
Voltaire