à St: Petersb. ce 28 Nov: [9 December n. s.] 1765
Monsieur, ma tête est aussi dure que mon nom est peu harmonieux.
Je répondrai par de la mauvaise prose à Vos joli vers. Je n'en ai jamais fait. Je n'en admire pas moins pour cela les Vôtres. Ils m'ont si bien gâté que je ne puis presque en souffrir d'autres; je me renferme dans ma grande ruche, on ne sauroit faire différent métiers à la fois, le mien prend beaucoup de tems, et je trouve ma tête malgré ce que Vous me dites de mon beau nom, si peu docile, si peu flexible, que le nom de Catherine m'est très justement doné. Il harmonie avec l'harmonie de mon génie. S'est feu l'Imp: Elisabeth à laquelle je dois beaucoup qui m'apella ainsi par tendresse et par respect pour sa Mère.
Jamais je n'aurais crue que l'achat d'une Bibliotèque m'attirerait tant de complimens. Tout le monde m'en fait sur celle de Mr Diderot, mais avoué, Vous à qui l'humanité en doit pour le soutien que Vous avés doné à l'innocence et à la Vertu dans la persone des Calas, qu'il aurait été cruel et injuste de séparer un savant d'avec ses livres, et empêche je Vous prie Mr d'alembert d'être aussi sensible au refus de la pension qui lui est due. S'est une inconséquence qu'il doit mépriser, il a fait des sacrifices bien au delà de cette très modique pension. L'effet de ce refus retombe sur ceux qui le persécutent, ils en souffrent plus que lui.
Dmitri, Métropolite de Novogrod, n'est ni persécuteur ni fanatique, il n'y a pas un principe dans le mandement d'Alexis qu'il n'avouerait, ne prêcherait et ne publierait dès que cela serai utile ou nécessaire. Il abhore la proposition des deux puissances, plus d'une fois il en a donné des exemples, que je pourrai Vous citer, si je ne craignait de Vous ennuyer. Je les mettrai sur une feuille séparé afin que Vous la brûliés si Vous ne voulés pas la lire.
La tolérance est établie chés Nous, elle fait loi de l'Etat, et il est défendu de persécuter. Nous avons il est vrai des fanatiques qui faute de persécution se brûlent eux mêmes, mais si ceux des autres pays en faisait autant, il n'y aurait pas grand mal, le monde n'en serait que plus tranquile et Calas n'aurait pas été roué. Voilà monsieur les sentimens que nous devons au fondateur de cette Ville, que Nous admirons tous deux.
Je suis bien fâchée que Votre santé ne soit pas aussi brillante que Votre esprit, celui çi en donne aux autres. Ne Vous plaignés point de Votre âge, et vivés les anées de Metusalem, dussiés Vous tenir dans le Calendrier la place que Vous trouvés àpropos de me refuser. Come je ne me croi point en droit d'être chantée, je ne changerai pas mon nom contre celui de l'envieuse et jalouse Junon. Je n'ai pas assés de présomption pour prendre celui de Minerve, je ne veux point du nom de Venus, il y a trop sur le compte de cette bonne Dame. Je ne suis pas Ceres non plus, la récolte a été très mauvaise en Russie cette année. Le mien au moins me fait espérer l'intercession de ma Patrone là où elle est et à tout prendre je le croi le meilleur pour moi, mais en Vous assurant de la part que je prend à ce qui Vous regarde, je Vous en éviteré l'inutile répétition.
Le mandement m'a fait ressouvenir de l'honête Antoine Vadé et de son discours.