1770-12-15, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Les répétitions devienent ennuyeuses, je Vous ai si souvent mandée, telle ou telle Ville est prise, les Turks ont été batus.
Pour amuser, dit on, il faut de la diversité. Eh bien! aprenés que Votre cher Brahilow a été assiégée, qu’on a doné un assaut, que cet assaut a été repoussé et le siège levé. Le Cte: Roumenzof s’est fâché, il a envoyé une seconde fois le Gén: Major Glebof avec un renfort vers Brahilow. Vous croirés peut être que les Turks, encouragés par la levé du siège, ce sont défendus come des Lions: point du tout, à la seconde approche de mes troupes, ils ont abandonée la place, les canons et les magasins qui y étoit; Mr Glebof y est entré et s’y est établi. Un autre corps est allé réoccuper la Valachie: j’ai reçuë avanthier la nouvelle que Boucarest, la capitale de cette principauté, a été prise le 15 Nov: après un petit combat avec la garnison Turque. Mais ce qui va vraiment Vous divertir, parce que Vous souhaitiés que le Danube fût franchi, s’est que le Maréchal Cte: Roumenzof avoit envoyé dans le même temps quelque centaine de chasseurs et de troupes légères de l’autre côté du Danube. Ceux çi partirent d’Ismail sur des bateaux, et s’emparèrent le 10 Nov: du fort de Toultcha qui est à quinze verste d’Isaktchi, où le Visir étoit campé. Ils envoyèrent la garnison dans l’autre monde, emenèrent plusieurs prisoniers et treise pièces de Canons, ils enclouèrent le reste et revinrent heureusement à Kilia. Le Visir ayant apris cette petite incartade leva son Camp et s’en fut avec son monde à Babadaghi. Voilà où nous en somes, et s’il plait à Moustapha nous continuerons quoique pour le bien de l’humanité il seroit bien tems que ce seigneur là ce rengea à la raison. Mr Totleben est allé attaquer Potis sur la mer Noire, il ne dit pas grand bien des successeurs de Mathridate, mais en revange il trouve le climat de l’anciene Iberie le plus beaux du monde. Les dernières lettres d’Italie disent ma troisième Escadre à Mahon; si le Sultan ne ce ravise, je lui en enverrai encore une demi douzaine, on dirai qu’il y prend plaisir. La maladie présente des Anglois ne sauroit être guérie que par une guerre; ils sont trop riches et désunis, une guerre les appauvrira et réunira les esprits, aussi la nation le veut elle, mais la Cour n’en veut qu’aux gouverneur de Buenos Aires. Vous voyés Monsieur que je réponds à plusieurs de Vos lettres par celle çi. Les fêtes auquelles le séjour du Prince Henry de Prusse, qui part aujourd’huy pour voir Moscow, a doné lieu ont un peu dérangé mon exactitude à Vous répondre. Je lui en ai donée plusieures auquelles il a paru ce plaire. Il faut que je Vous conte la toute dernière. S’étoit une Mascarade, à laquelle il ce trouva trois mille six cent persone. A l’heure du souper entra Appollon, les quatres saisons et les douze mois de l’année; s’étoit des enfans de huit à dix ans pris des instituts d’éducation pour les nobles des deux sexe que j’ai établie. Appolon par un petit discour invita la compagnie de ce rendre dans le salon préparé par les saisons, puis il ordonna à sa suite de présenter leurs dons à ceux à qui ils étoit destinés. Ses enfans s’acquitèrent au mieux de ce qu’ils avoit à dire et faire. Si joint Vous trouverez leurs petits complimens qui il est vrai ne sont que des enfantillages. Les cent vingt persones qui devoit souper dans la salle des saisons, s’y rendirent; elle étoit ovale et contenoit douze niches, dans chaqu’une des quelle il y avoit une table pour dix persones. Chaque niche représentoit un mois de l’anée et l’appartement étoit orné en conséquence. Sur les niches on avoit pratiqué une gallerie qui régnoit tout au tour sur laquelle, il y a avoit outre la foule des masques, quatre orchestre. Lorsqu’on fut placé à table, les quatre saisons qui avoit suivit Appollon ce mirent à danser un ballet avec leurs suite. Ensuite arriva Diane et ses nimphes. Lorsque le ballet fut fini, la musique composé par Trajetto pour cette salle ce fit entendre, et les masques entrèrent.

A la fin du soupé, Appollon vint dire qu’il prioit la Compagnie de ce rendre au spectacle qu’il avoit préparé; dans un appartement attenant à la salle on avoit dressé un Théâtre où ses mêmes enfans jouèrent la petite Comédie l’Oracle. Après quoi l’assemblée trouva tant de plaisir à la danse qu’on ne se retira qu’à cinq heures du matin. Toute cette fête avoit été préparé avec tant de mystère qu’on ignoroit qu’il y auroit autre chose qu’une mascarade; vingt un appartement étoit rempli de masque, la salle des saisons avoit dix neuf toises de long et elle étoit très proportionée.

Je pense qu’Aly bey ne pourra que trouver son compte dans la continuation de la guerre, on dit que les Turks et les Chrestiens sont trés contens de lui, qu’il est tolérans, brave et juste. Ne trouvés Vous pas singulier cette frénésie qui a prise à toute l’Europe de voir la peste partout et les précautions prise en conséquence, tandis qu’elle n’est qu’à Constantinople, où elle n’a jamais cessé. J’ai prise mes précautions aussi, on parfume tout le monde, jusqu’à étouffer er cepandant il est très douteux que cette peste aye passée le Danube.

J’ai ordonée de parler à la famille de Mr Tchoglokof pour le payement des comptes que Vous m’avés envoyé, lorsque j’aurai leurs réponse je Vous la ferai parvenir Monsieur. La mauvaise conduite de ce jeune home en Georgie où il avoit demandé d’aller, sa désobéïssance vis à vis de son général, ses intrigues contre Mr de Totleben, l’ont jetté dans un labirinthe dont il aura bien de la peine à ce tirer. Il est présentement à attendre son jugement d’un conseil de guerre à Casan. Vous savés ce que s’est qu’un pareil conseil quand il s’agit de désobéïssance militaire et de menées contre le général. Les ouvrages d’horlogerie fait à Ferney ne manqueront point de débit chés nous, ils n’ont qu’à venir, nous nous en accomoderons. Adieu Monsieur, portés Vous bien et continués moi Votre amitié, il n’y a persone qui en connoisse mieux le pris que moi.

Caterine