1770-09-12, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Quoique cette fois çi en réponse à Votre lettre du 11 d'Auguste je n'aye point à Vous doner des grands faits de guerre, j'espère ne pas nuire à Votre convalescence en Vous disant qu'après la prise d'Ismael, les Tartares du Boudjak et de Belgorod ce sont séparé de la Porte.
Ils ont envoyé des délégués aux deux généraux de mes Armées pour capituler. Ensuite de quoi ils ce sont rangée sous la protection de la Russie, ils ont donnés des Otages et prêté serment sur l'Alcoran de ne plus seconder les Turks ni le kan de Krimée et de ne point reconoitre de kan à moins qu'il ne ce soumette aux même conditions, c'est à dire de vivre tranquile sous la protection de la Russie, et de ce détacher de la Porte. On ne sait pas trop ce qu'est devenu ce kan, cependant il y a apparence que si non lui, du moins une partie de son monde embrasseront le même parti. Les Tartares dès le comencement regardoit cette guerre come injuste, ils n'avoit aucun sujet de plainte, le comerce interrompu avec l'Ukraine leurs causoit une perte plus réelle qu'ils ne pouvoit espérer d'avantages par les rapines.

Vous voyés Monsieur que les suites des deux Batailles de Larga et du Kagoul ôtent à nos envieux la ressource ou le plaisir de représenter au public ses journées comme douteuses. Les Turks pendant ses deux actions étoit retranchés jusqu'aux dents, et à celle du Kagoul ils ont fait une défense vigoureuse pendant cinq heures. Mes précédentes Vous auront doné des éclaircissemens sur le compte des Georgiens. N'ajoutés point fois à l'enlèvement d'Heraclius par les Turks qu'on a répandu dans les Nouvelles Publiques, c'est un Mensonge. Le siège de Bender va son train, la garnison de cette place fait une défense désespéré. Après la journée de Modon en Morée où sept cens Grecs abandonèrent deux postes importans que sept mille Turks attaquèrent, le Cte: Alexis Orlof défendit Navarin, jusqu'à ce que l'Enemi lui coupa l'eau, alors il fit embarquer son monde sur le Vaisseaux qu'il avoit dans le port, etc ordona de mettre le feu aux mines de la place, et à la vuë l'enemi il ruina les ouvrage et sortit du Port; quelques jours après il joignit la flote réunie des Amiraux Spiridow et Elphingston, le 20 Juin ils étoit à la vue de Paros et Niksia, où ils faisoit provision d'eau. La Flote Turque évitoit le combat et la nôtre alloit poursuivre. Depuis ce tems les Nouvelles de Constantinople disent la flote enemie batuë, je n'en ai point de nouvelle directe. Cependant si l'occasion s'en présente je suis persuadée que mes Amiraux, mais surtout les deux Ctes Orlofs ne négligeront point de faire leurs devoirs. Ce sont des Héros dont il faut tout attendre. Esprit, courage, probité, savoir faire, rien ne leurs manque, s'est une raçe singulière, nés pour les grands événemens. Leurs union fraternelle est encore un exemple rare, l'amitié et l'estime les lie tellement qu'il n'i a jamais qu'un avis comun auquel tous sont soumis.

Voici ce qui a doné lieu à la nouvelle de l'abandon de la Valachie. Lorsque le Cte: Roumanzof ce mit en Campagne, il retira ces poste les plus avancées pour renforcer son Armée. Les Turks au plus vite y envoyèrent une poignée de monde et ce fut une grande joye dans le sérail, qui je pense aura été diminué par le succès plus réçents de ce Maréchal. Il n'i a ni peste ni maladie dans son Camp; Les deux Armées ce trouve dans l'état le plus florissant Malgré les calomnie des Chrestiens Turbanisés, je m'en raporte aux témoignages de tous les Volontaires étrangers, Danois, Anglois, Prussiens, et aux Chevaliers Teutoniques qui s'y trouvent.

Je ne crois pas que la révolution d'Egypte soit douteuse s'il est vrai come on l'assure qu'à Stamboul même on voit de l'argent monoyé au titre d'Ali Bey d'Egypte. Vous voyés Monsieur que je répond à tous les Article de Votre dernière lettre. A voir la vivacité qui règne dans cette lettre, je ne puis Vous croire bien malade. L'on ce flatte volontier de ce que l'on souhaite, j'espère que celle çi Vous trouvera tout à fait rétabli. Si mes succès y peuvent contribuer, Vous avés reçus depuis un mois suffisament de cette médecine restaurante. Il est vrai que selon vos désirs les Turks ne sont pas tous exterminés, mais Vous conviendrés que nous les menons bon train. Il me paroit Monsieur que Vos compatriote continue d'aller celui qu'ils vont et que Vous décrivés si bien, le reste de l'Europe perdra bientôt la manie de les imiter. Les François sans doute gagneront beaucoup à n'avoir plus d'envieux. Ils jouiront tranquilement de l'Opéra Comique et du doux plaisir d'entendre leurs jeunes poètes répéter sans cesse à la nation ce refrain, Ah combien Monseigneur doit être content de lui même!

Mais revenons un peu au Turks. Mon Armée ira tout droit au ciel puisque s'est une oeuvre méritoire pour des Chrestiens que de tuer des Turks. Les Musulmans disent que les deux dernières battailles leurs coûtent près de qurante mille home. Cela fait horreur j'en convient, mais quand il s'agit de coup il vaut mieux battre que d'être batu. Je n'auserai après cela Vous demander Monsieur si Vous êtes content? Parceque quelque amitié que Vous ayés pour moi je suis persuadée que Vous ne sauriés voir le malheur de tant d'homes sans en sentir de la peine. J'espère aussi que l'amitié que Vous avés pour moi Vous consolera du malheur des Turk. Vous serés tolérans et humain et il n'i aura aucune contradiction dans Vos sentimens. Il est impossible que Vous aimiés les enemis des Arts. Conservés moi je Vous prie Votre amitié et soyés assurés que j'y suis très sensible. Il faut que je Vous dise encore un Phénomène nouveau, s'est qu'il y a grand nombre de déserteurs Turks qui vient à notre Armée. On prétend que s'est une chose dont il n'i a jamais eu d'exemple. Les déserteurs même prétendent qu'ils sont mieux traités chés nous qu'ils ne le sont chés eux.

Caterine