1770-09-27, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Que de choses j'ai à Vous dire aujourd'huy! je ne sais par où comencer.
Ma flote, non pas sous le comandement de mes Amiraux mais sous celui du Cte: Alexis Orlof, Après avoir batu la flote enemie l'a brûlée toute entière dans le port de Chesme en Asie, ançienement Clazomene. J'en ai reçuë il y a trois jours la nouvelle directe. Près de cent Vaisseaux de toute espèce ont été réduit en cendre. Je n'ose presque dire le nombre des Musulmans qui sont péris, on le fait monter jusqu'à vingt mille. Un conseil général de guerre avoit terminé la désunion des deux Amiraux, en defferant le comandement au général des troupes de terre qui ce trouvoit sur cette flote, et qui au reste étoit leurs ancien dans le service. Ce résultat fut unanimement aprouvé de tous et dès ce moment l'union fut rétablie. Je l'ai toujour dit, ses Héros sont né pour les grands événemens. La flote Turque fut poursuivie depuis Naple de Romanie où elle avoit été déjà harcelée à deux reprise jusqu'à Scio. Le Cte: Orlof savoit qu'un renfort étoit parti de Constantinople, il crut qu'il préviendroit la jonction en attaquant sans perte de tems l'enemi. Arrivé dans le Canal de Scio, il vit que cette jonction s'étoit faite. Il ce trouvoit avec 9 Vaisseaux de haut bord en présence de 16 Vaissaux de ligne Ottomans, le nombre des Frégates et autres bâtimens étoit encore plus inégal. Il ne balança pas et trouva la disposition des esprit telle qu'il n'i eut qu'un avis, qui fut de vaincre ou de mourir. Le combat comença. Le Cte: Orlof ce tint au centre, l'Amiral Spiridof qui avoit à son bord le Cte: Feodor Orlof comanda l'avant garde. Le Contre Amiral Elphinston l'arrière garde. L'Ordre de bataille des Turks étoit telle qu'une de leurs ailes ce trouvoit apuyée contre une Isle pierreuse, et l'autre à des bas bonds de façon qu'ils ne pouvoit être tourné. Le feu fut terrible de part et d'autre pendant plusieurs heures. Les Vaisseaux s'approchèrent de si près que le feu de la Mousqueterie ce joignit à celui des Canons. Le Vaisseaux de l'Amiral Spiridof avoit à faire à trois Vaisseaux de guerre et un Chebek turk. Il accrocha malgré cela le Capitaine Bacha qui portoit 90 Canons. Il y jeta tant de grenate et de matière combustible que le feu prit au Vaisseaux, ce comuniqua au nôtre et ils sautèrent tout les deux en l'air, un moment après que l'Amiral Spiridof et le Cte: Fedor Orlof avec environ 90 persones en furent descendu. Le Cte: Alexis voyant dans le plus fort du combat les Vaisseaux Amiraux voler en l'air cru son frère péri. Il sentit alors qu'il étoit home. Il s'évanouit, mais reprenant un moment après ses esprits, il ordona de lever toutes les voiles et ce jetta avec son Vaisseaux entre les Enemis. Au moment de la Victoire Un officier Lui aporta la nouvelle que son frère et l'Amiral étoit en Vie. Il dit qu'il ne sauroit décrire ce qu'il sentit dans cet instant le plus heureux de sa Vie, où ayant vaincu il retrouva son frère qu'il croyoit mort. Le reste de la flote Turque ce jeta sans ordre ni règle dans le port de Chesme. Le lendemain fut employé à préparer des brûlots et à Canoner l'enemi dans le port à quoi celui ci répondit. Mais dans la nuit les brûlots furent lâchés et firent si bien leurs devoir qu'en moins de six heures de tems la flote Turque fut consumé. La terre et l'onde trembloit dit-on de la grande quantité de Vaisseaux enemis qui sautèrent en l'air, on l'a senti jusqu'à Smirne qui est à douze lieues de Chesme. Les nôtre tirèrent pendant cet incendie du port un Vaisseaux Turk de 60 Canons qui se trouvoit sur le vent et par cette raison n'avoit pas été consumé. Ils s'emparèrent aussi après l'incendie d'une batterie que les Turks avoit abandoné. Le Vaisseaux turk nomé Rhodes fut doné au Capitaine russe qui avoit monté le Vaisseaux Amiral, et voici coment il resta en vie. Lorsque son Vaisseaux fit le saut périlleux il fut jeté en l'air puis il tomba dans l'eau, d'où nos chaloupes le tirèrent. Il n'a eu d'autre mal que d'avoir été mouillé. Cela paroit fabuleux cependant cela est vrai.

La guerre est une vilaine chose Monsieur. Le Cte: Orlof me dit que le jour après l'incendie de la flote enemie, il vit avec effroi que l'eau du port de Chesme qui n'est pas fort grand étoit teinte de sang tant il y étoit périt de Turks.

Autre anecdote; de l'équipage des deux Vaisseaux sauté en l'air il y en eu qui étant tombé dans l'eau, s'étoit acrochés aux débris qu'ils avoit trouvé, et dans cet état ce rencontrant avec leurs enemis, ils tâchoit réciproquement encore à en venir aux mains ou à ce couler à fond. Cette lettre Monsieur servira de réponse à la Vôtre du 28 d'Auguste, où Vos allarmes à notre sujet començoit déjà à ce dissiper. J'espère qu'aprésent Vous n'en avés plus, mes affaires il me semble vont assés bien.

Pour ce qui regarde la prise de Constantinople je ne la croit pas si proche, cepandant dans ce monde dit-on il ne faut désespérer de rien. Je comence à croire que cela dépend plus de Moustapha que de tout autre. Ce Prince s'i est si bien pris jusqu'ici que s'il continue dans l'opiniâtreté que ses amis lui inspire il exposera son Empire à de très grands dangers. Il a oublié son rôle, il est l'Agresseur.

Adieu Monsieur, portés Vous bien, si des combats gagnée peuvent Vous plaire Vous devés être bien content de Nous. Soyés assuré de l'estime et de la considération que je Vous porte.

Caterine

Le Prince Koslofski qui a été chés Vous est péri sur l'Eustache lorsqu'il a sauté.