1769-07-25, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J'ai reçuë le 20 Juin Votre lettre du 27 May.
Je suis charmée d'apprendre que le printems rétablit Votre santé, quoique la politesse Vous fait dire que mes lettres y contribuent, cependant je n'ose leur attribuer cette vertu; soyés en bien aise, car d'ailleurs vous en pourriés recevoir si souvent qu'elles Vous ennuyerait à la fin.

Tous Vos compatriotes, Monsieur, ne pensent pas come vous sur mon compte. J'en conois qui aiment à ce persuader qu'il est impossible que je puisse faire quelque chose de bien, qui donent la torture à leurs esprit pour en convaincre les autres, et malheurs à leurs sattelites s'ils osait penser autrement qu'ils ne sont inspirés. Je suis assés bonne pour croire que s'est un avantage qu'ils me donent sur eux, parceque celui qui ne sait les choses que par la bouche de ses propres flatteurs les sait mal, voit dans un faux jour, et agit en conséquence; come au reste ma gloire ne dépend pas d'eux mais bien de mes principes, de mes actions, je me console de n'avoir pas leurs approbation, en bon Chrestien je leurs pardone, et j'ai pitié de ceux qui m'envie.

Vous me dites Monsieur que Vous pensés come moi sur différentes choses que j'ai faites et que Vous Vous y intéressé. Eh bien Monsieur sachés puisque cela Vous fait plaisir que ma belle Colonie de Saratow monte à vingt sept mille âme, qu'en dépit du Gazetier de Cologne elle n'a rien à craindre des incursions Tartares, Turques etc; que chaque Canton a des Eglises de son rite, qu'on y cultive les champs en paix, et qu'ils ne payeront aucune charge de trente ans; Que nos charges sont d'ailleurs si modiques qu'il n'y a pas de paysan en Russie qui ne mange une poule quand il lui plait, et que depuis quelque tems il y a des provinces où ils préfèrent les Dindons aux poules; Que la sortie du bled permise avec certaine restriction qui précautione les abus sans gêner le Comerce, ayant fait hausser le prix du bled, accomode si bien le cultivateur que la culture augmente d'années en années: Que la population est pareillement augmentée d'un dixième dans beaucoup de province depuis sept ans. Nous avons la guerre il est vrai, mais il y a bien du tems que la Russie fait ce métier là, et qu'elle sort de chaque guerre plus florissante qu'elle n'y était entrée. Nos Loix vont leurs train, on y travaille tout doucement, il est vrai qu'elles sont devenus causes secondes, mais elles n'y perderont rien. Ses Loix seront tolérantes, elles ne persécuteront, ne tueront, ni ne brûleront persone. Dieu nous garde d'une Histoire pareille à celle du Chevalier de la Barre, on mettrait au petites maisons les juges qui oserait y proçéder. Pierre le Grand a jugés à propos d'enfermer les fous à Moscou dans un bâtimens qui était autrefois un Couvent de moines. Si la guerre diversifie mon travail come Vous l'observés cependant mes divers établissement ne s'en ressentiront point. Depuis la guerre j'ai faite deux nouvelles entreprises, je bâtis Azoph et Taganrok, où il y a un port començé et ruiné par Pierre i. Voilà deux bijoux que je fais enchasser, et qui pourroit bien n'être pas du goût de Moustapha; l'on dit que le pauvre home ne fait que pleurer, ses amis l'ont engagé dans cette guerre malgré lui et à son corps défendant; ses troupes ont començées par piller et brûler leur propre pays; à la sortie des janissaires de la Capitale, il y a eu plus de mille persones tués, et l'envoyé de l'Empereur, sa femme et ses filles battuë, vollé, trainée par les cheveux etc. sous les yeux de sultan et de son Visir, sans que persone osa empêcher ses désordres, tant ce gouvernement est foible et mal arrangé. Voilà dont ce fantôme si terrible dont on prétend me faire peur.

Vous aurés apris Monsieur, que selon Vos souhaits les Turks ont été battus le 19 et le 21 Avril. Nous avons pris dix drapeaux, trois queus de cheval, le bâton de Comandement du Pacha et quelques Canons, deux camps Turks et aux environs de cinquante mille Ducats sont tombé entre les mains de nos soldats. Il me semble que cette entrée de jeu est assés passable.

Quand on m'apporta les queues de cheval, je ne sai qui s'écria dans la chambre: pour le coup on ne dira pas que cela a été acheté au marché. Mes militaires prétendent Monsieur, que depuis l'invention des Canons les douze mille chars de Salomon n'auront pas assisté à une bone baterie, ils ajoutent qu'il faudrait compter pour perdu chars, chevaux, et conducteurs qu'on voudrait employer en ce tems çi à conduire ses chars. Ce que Vous m'en marqués Monsieur m'est une nouvelle preuve de Votre amitié, que je sens parfaitement, et dont j'ai bien des remerçimens à Vous faire.

L'on dirait que l'esprit humain est toujours le même, le ridicule des Croisades passées n'a pas empêché les ecclésiastiques de Podolie, soufflés par le nonce du pape, à prêcher contre moi une Croisade et ses fous de soit disant confédérés ont pris la croix d'une main et ce sont ligué de l'autre avec les Turks auquel ils ont pris deux de leurs Provinces. Pourquoi? Afin d'empêcher un quart de nation de jouïr des droits de Citoyen. Et voilà pourquoi ils brûlent et saccage leurs propre pays. La bénédiction du pape leurs promets le paradis. Conséquenment les Venitiens et l'Empereur seroit excomuniés je pense s'ils prenoit les armes contre ses mêmes Turks défenseurs aujourd'huy des Croisés contre un quelqu'un qui n'a touché ni en blanc ni en noir à la foi Romaine. Vous verrés encore Monsieur que ce sera le Pape qui mettra opposition au souper que Vous proposés à Sophie.

Rayé s'il Vous plait Philipopolis du nombre des Villes. Elle a été réduite en cendre ce printems par les Troupes ottomanes qui y ont passé, parcequ'on vouloit les empêcher de la piller. Je ne sai pas trop si les Jesuites ont participés à touttes les méchancetés de leurs confrères, il me semble que je ne leurs en ai pas donnée de raison, et même lorsqu'ils furent chassés des états de Portugal, d'Espagne et de France, ils me faisait pitiés come homes et come homes malheureux, dont la plupart je crois sont inoçent, et en conséquence j'ai dit et répété à qui vouloit bien l'entendre, que si il y en avait qui voulussent ce marier et s'établir en Russie ils devait être assurés de toutte la Protection du gouvernement. Je suis encore dans les mêmes sentimens, il me semble que pour qui n'a pas où doner de la tête, des propositions sont aussi hospitalières qu'honêtes. J'espère Monsieur come Vous que touttes ses Turpitudes cesseront, que mes enemis et mes envieux m'auront fait beaucoup moins de mal qu'ils ne l'espéroit, et que toutte leurs manigances tourneront à leurs honte. Je suis fâchée de l'accident arrivé au jeune Galatin. Je Vous prie Monsieur de m'avertir, si Vous Vous déterminés à l'envoyer à Riga ou içi afin que je puisse remplir mes promesse pour Votre protégés. La mauvaise opinion que Vous avés de la plupart des universités me confirme dans l'opinion que j'en avais, touttes ses fondations ont été faites dans des tems bien peu Philosophiques, ce serait un ouvrage digne d'une home de génie de prescrire une réforme sur laquelle l'on pourrait modeler ses écoles à l'avenir.

Adieu Monsieur, soyés assurés de la considération toutte particulière que j'ai pour Vous.

Caterine

PS. Voiçi Monsieur ce qu'il y a de plus nouveaux de Mon armée. Le 19 Juin nos Troupes légères ont envoyés sur l'autre rive du Dnester vingt mille Turks qui avoit tentée le passage et l'armée passa cette rivière deux jours après sans que l'enemi ce montra, le 28, 29 et 30 les troupes légères en vinrent au mains et notre armée avança pendant ses trois jours. Le 1 Juillet dix mille Turks et vingt à trente mille Tartares l'attaquèrent. On les batti toujours en avançant. Le 2 soixante dix mille Turks renouvellèrent l'attaque mais furent repoussé de hauteur en hauteur de façon qu'ils s'enfuirent sous les Canons de Chotzin. Cette même nuit la Corps qui étoit posté vis à vis de cette forteresse sur l'autre bord de la rivière sous les ordre du Lieutenant Général Renekampf comença à Bombarder la Ville, le Prince Gallitzin Campa à deux werstes du retranchement des Troupes Turks. Le Corps Turk s'enfuit. Le lendemain on changea le bombardement en blocus. Nos troupes légères envoye des patrouilles au delà du Pruth.