1773-07-11, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Je prend la plume pour Vous doner avis que le Maréchal Roumenzof a passé le Danube avec son Armée le ii Juin v. st: Le Général Baron Weissmann lui n’etoya le chemin le premier en culbutant un corps de douze mille Turks.
Les Lieutenant généraux Stoupichin et Potemkin en firent autant de leurs côté; ceux ci pouvoit avoir à faire à dix huit ou vingt mille Musulmans, dont ils envoyèrent bon nombre dans l’autre monde, pour en porter la nouvelles, à ses Dames polies de la part desqu’elles Vous m’avés dit tant de choses flatteuses après les cinquantes deux accès de fièvre dont Vous Vous êtes à mon très grand contentement aussi heureusement tiré qu’un jeune home de vingt ans. Chaque corps Turk nous a laissé son Camp, son Artellerie, ses bagages. Voilà dont Votre cher Moustapha en train d’être joliment tapé de nouveau, après avoir négoçié et rompu deux Congrès consécutifs et avoir jouï de diverses Armistices pendant près d’un ans. Cet honête home là selon moi, ne sait point profiter des circonstances. Il n’est pas douteux que Vous serés témoin oculaire de la fin de cette guerre. J’espère que le passage du Danube y contribuera. Il Vous donera de la joye, et rendra le sultan plus traitable, après quoi nous laisserons bavarder les Welches. Leurs nouvelles souvent, méritent peu d’attention. Ils ont débité que j’avois demandé trente mille Tartares au Chan, et que celuiçi me les avoit refusé. Je n’ai jamais pensé à pareille absurdité, et je doute fort que Mr de St: Priest l’aye mandé come on l’assure, parceque comunément les Ambassadeurs sont sensé avoir au moins le sens comun.

Je dois ajouter au récit que je Vous ai faite du portail voûté élevé sur la glaçe, qu’on l’a abbatu ce printems par curiosité, et qu’on a trouvé la glaçe fondue, par conséquent cette manière de bâtir n’est pas solide, quoique cette porte aye existée plus de trois ans et ne paroissoit point être endomagée.

Le froid qu’on a senti ici cet hiver a été moindre que celui de la Siberie qui est monté à un degré fabuleux et surtout à Irkoutzka. Je seroit tenté de n’y ajouter pas plus de fois qu’au réçit d’Algaroti sur le Grece. Vous m’avés tiré d’erreur en quatre mots, me voilà convaincue que ce n’est point en Grece que les Arts ont été inventés, j’en suis fâchée, car j’aime les Grecs malgré tout leurs défauts. Soyés assurés de tout les sentimens que Vous me conoissés pour Vous, conservés moi Votre amitié, portés Vous bien et réjouissons nous ensemble du passage du Danube qui ne sera pas plus imortel que celui du Rhin par Louïs XIV, mais il est plus rare, les Russes ne l’ayant franchi de huit cens ans à ce que disent nos Antiquaires.