1765-05-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Mon cher philosophe; j'ai fait en partie ce que vôtre prieur carme a désiré, j'ai rassemblé le plus de volumes que j'ai pu.
J'en ai fait faire un petit ballot que j'ai envoié par le coche de Lyon, à l'adresse de mr le vicomte de st Priest à Montpellier. Il faudra que le prieur ait l'attention d'en avertir Mr de st Priest. L'adresse porte, A Mr Camp à Lyon, pour faire tenir à Mr le vicomte de st Priest à Montpellier. Je n'écris point au prieur, je suis trop malade, et d'ailleurs, je n'aurais à lui mander autre chose, sinon que je n'ai pu éxécuter entièrement sa commission, n'aiant pas un seul éxemplaire complet. Je donnerais tous les livres du monde pour l'ouvrage que vous m'avez fait espérer, et auquel je voudrais bien que vous pussiez travailler dans les moments de vôtre loisir. Vous tirerez de l'or du fumier des pères. Ces pauvres gens ont donné contre eux de terribles armes dont on n'a pas encor su se servir. Il fallait que le siècle de la philosophie fût arrivé pour qu'on discernât combien peu ils étaient philosophes, car avant ce siècle on raisonnait à peu près comme eux. La lumière s'étend à présent de tous côtés, et avec tant d'éclat que les jansénistes font tout ce qu'ils peuvent pour l'éteindre. Ils ont fait déffendre l'excellent livre de D'Alembert sur la destruction des Jesuites, parce que la leur y est annoncée, et que l'intrépide d'Alembert ne fait pas plus de cas des uns que des autres.

Il y a actuellement à Paris une inquisition très sévêre sur les livres. On s'y prend trop tard. La raison a établi son empire. Il est assez aisé de lui fermer les portes, mais quand elle les a ouvertes une fois on ne la chasse plus.

On attend made la Duchesse d'Anville ces jours cy; elle prend bien mal son temps, vous n'êtes pas à Genêve. Adieu mon cher philosophe. Quand vous reviendrez nous parlerons de Tertulien et d'Irenée; ils étaient de maîtres fous, et leurs prédécesseurs aussi.