1765-05-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Mon cher philosophe, L'abbé Bazin était un grand ignorant auprès de vous.
Je vois qu'il n'avait fait qu'éfleurer ce que vous aprofondissez; il est le Jean qui crie dans le désert, préparez la voie du seigneur. Il vous est réservé de détruire l'édifice que la fraude et la bétise ont élevé. Il me semble que vous tenez le fil qui vous conduira dans ce Labirinte. Vous ressemblerez à celui qui renversa la statue de Sérapis dans le creux de la quelle on ne trouva que des rats et des toiles d'araignée, et le bon de l'affaire est que vous renverserez la statue en aiant l'air de la soutenir. Je vais rassembler ce que je pourai des fatras que le prieur des Carmes veut bien me demander, et je les lui ferai tenir par les voitures publiques, celà sera long, mais sûr, la vérité perce enfin jusques dans les cloîtres. Il n'est pas à beaucoup près le seul religieux qui ait ouvert les yeux à la lumière. Le nombre des prêtres qui sont las de leur mêtier est beaucoup plus grand que celui des honnêtes femmes qui sont lasses du leur.

Je ne sais quand made la Duchesse D'Amville viendra à Genêve; je ne suis instruit de rien dans ma retraitte. Je plains beaucoup son âme tendre et respectable; elle a perdu une fille charmante; il lui faudrait un consolateur tel que vous.

J'imagine que la santé de Mônsieur vôtre père vous retiendra longtemps à Montpellier, mai je ne perds pas l'espérance de vous revoir, et de vous dire combien je vous estime et je vous aime.