1768-12-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Bordes.

Je ne vous ai point envoié les siècles, mon cher ami, parce qu'ils sont pleins de fautes typographiques, et qu'on y fait des cartons.
Celle que vous avez remarquée est la bévue la plus énorme qu'on puisse jamais faire. J'avais envoié une addition pour la paix d'Aix la chapelle, et on l'a insérée dans le livre pour la paix dernière. Ce qu'il y a de triste c'est que Cramer a envoié tous les ballots à Paris et dans les provinces, et que les libraires ne se donnent guêres la peine de mettre les cartons. Pourvu qu'ils vendent ils sont contents. Mon sort est d'être ridiculement imprimé.

J'ai été fort content du fils d'Hébert. Il est très aimable et parait fort au dessus de son âge et de sa profession.

Que dites vous de Catau qui se fait inoculer sans que personne en sache rien, et qui va se mettre à la tête de son armée? je souhaitte passionément qu'elle détrône Moustapha. Je voudrais avoir assez de force pour l'aller trouver à Constantinople; mais je suis plus près d'aller trouver Pierre trois, quoi que je sois pas si ivrogne que lui.

Portez vous bien, mon cher philosophe, et cultivez la vigne du seigneur tant que vous pourez.

Avez vous lu la riforma d'Italia? Il n'y a guère d'ouvrage plus fort et plus hardi, il fait trembler tous les prêtres, et inspire du courage aux laïques. L'idole de Sérapis tombe en pièces, et on ne verra que des rats et des arraignées dans le creux de sa tête. Il se peut très bien faire que les Italiens nous devancent, car vous savez que les Welches arrivent toujours les derniers en tout, excepté en falbalas et en pompons.

Je vous embrasse philosophiquement et tendrement.