28e 9bre 1769, à Ferney
Madame,
La Lettre du 13 octobre dont vôtre Majesté Impériale m'honore, me rajeunit tout d'un coup de seize ans, de sorte que me voilà un jeune homme de soixante ans tout propre à faire une campagne dans vos troupes contre Moustapha.
J'avais été assez faible pour être allarmé des fausses nouvelles de quelques gazettes qui prétendaient que les Turcs étaient revenus à Choctzim, qu'ils s'en étaient rendus maîtres, et qu'ils rentraient en Pologne. Vous ne sauriez croire de quel poids énorme la Lettre de vôtre Majesté m'a soulagé.
Par Les derniers vaisseaux arrivés de Turquie à Marseille on aprend que le nombre des mécontens augmente à Constantinople, et que le sérail est obligé d'apaiser les murmures par des mensonges, triste ressource. La fraude est bientôt découverte, et alors l'indignation redouble. On a beau faire tirer le canon des sept Tours et de Popana pour de prétendues Victoires; la vérité perce à travers la fumée du canon, et vient effraier Moustapha sur ses tapis de Zibeline.
Je ne serais point étonné que ce tiran imbécile (qu'il me pardonne cette expression), ne fût détrôné dans quatre mois quand vôtre flotte sera près des Dardanelles, et que son successeur ne demandât humblement la paix à Vôtre Majesté. Il ne m'apartient pas de lire dans l'avenir, encor moins même dans le présent, mais je ne saurais m'imaginer que les Venitiens ne profitent pas d'une si belle occasion. Il me semble que Vôtre Majesté prend Moustapha de tous les sens.
Quand une fois on a tiré l'épée personne ne peut prévoir comment les choses finiront; je ne suis point prophête, Dieu m'en garde, mais il y a longtems que j'ai dit que si l'Empire turc est jamais détruit ce ne sera que par le vôtre. Je me flatte que Moustapha paiera bien cher son amitié chrétienne pour le nonce du pape en Pologne. Tout ce que je sais bien certainement c'est que Dieu merci vôtre Majesté est couverte de gloire. Je ne suis plus indigné contre ceux qui l'ont contesté, car leur humiliation me fait trop de plaisir. Ce n'est pas sur les seuls Turcs que vous remporter la victoire, mais sur ceux qui osaient être jaloux de la fermeté et de la grandeur de vôtre âme que j'ai toujours admirée.
Que Vôtre Majesté Impériale daigne agréer mon remerciement, ma joie, mes vœux, mon entousiasme pour vôtre personne, et mon profond respect.
V.