Aux Délices près de Genêve 12Avril 1756
En revenant, Monsieur, à mon petit hermitage qu'on nomme les Délices, je reçois presqu'à la fois votre lettre et votre présent.
Mr Tronchin qui me faisait vivre, m'a abandonné pour aller inoculer des Princes: vous réparez le tort que me fait son absence en daignant m'envoyer du vin de Bourgogne qui vaudra mieux pour moi que tous ses remèdes. Il ne me manque, Monsieur, que d'avoir l'honneur de boire ce vin avec vous. J'ai aussi des vignes, mais ce sont des vignes plus hérétiques que Genêve: elles sont maudites de Dieu et de l'Eglise. Ma retraite est d'ailleurs aussi agréable qu'elle puisse être; je m'y attache tous les jours, et je sens que je ne pourai la quitter que pour venir vous remercier de vos bontés. Ce que vous me mandez de La santé de Mr de La Marche me pénétre de douleur: c'est le plus ancien ami qui me reste; la mort m'a enlevé presque tous les autres. Je me flatte encor de le retrouver à Dijon avec vous, si ma santé me permet de faire ce voyage.
Adieu monsieur, recevez les tendres remerciements de votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
Je suis fort en peine actuellement de Mr le maréchal de Richelieu. J'ai bien peur qu'il ne trouve des vaisseaux anglais dans son chemin avant d'arriver à Minorque; mais s'il peut ou les devancer ou les battre, il prendra Port-Mahon, il vengera la France et reviendra comblé de gloire. Adieu, Monsieur, je vous réitère mes remerciments et les tendres sentiments avec les quels je serai toute ma vie votre très-humble et très-obéissant serviteur.