aux Delices 12 octb [1757]
Plus je vieillis monsieur et plus je sens le prix de vos bontez.
Votre bon vin me devient bien nécessaire. Je donne d'assez bon vin de Baujolois à mes convives de Geneve, mais je bois en cachette le vin de Bourgogne. Je passe mon hiver à Lausane, où j'userai du même régime. Je voudrais bien séparer en deux vos bienfaits moitié pour Lausane et moitié pour Geneve. Ne pouriez vous pas à votre loisir m'envoyer ou deux petites pièces, à mon commissionaire de Nyon, ou des paniers de bouteilles? Comme je ne suis pas absolument pressé vous aurez tout le temps de vous déterminer. Mon commissionaire de Nyon s'appelle madame Scanavin, ce qui originairement voulait dire sac à vin.
Quant à mon expérience de phisique d'avoir de belles vignes dans mon vilain terrain, je fais arracher actuellement mais ceps hérétiques pour recevoir vos catholiques. Vous savez que ce n'est qu'un essai, et un amusement. Je vous remercie monsieur de daigner vous y prêter. Tout ce que je souhaitte c'est que vous veniez quelque jour boire du vin que vous aurez fait naitre dans ma petite retraitte.
Ma nièce et moy nous présentons nos respects à madame Lebeau, et j'ay l'honneur d'être avec les mêmes sentiments
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire