1765-01-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antoine Jean Gabriel Le Bault.

Un pauvre quinze-vingt, Monsieur, a encor un gozier, quoi qu'il soit privé des yeux.
Les Dames qui vivent avec moi ne sont pas dignes de vôtre vin. Elles disent que le Bourgogne est trop vif pour elles. Mais moi dont la vieillesse a besoin d'être réchauffée, j'ai recours à vos bontés; et je vous suplie de vouloir bien rendre un arrêt, par le quel il sera ordonné à un de vos gens, de m'envoier cent bouteilles, en deux paniers, du meilleur vin qu'un aveugle puisse boire. Peut-être même celà me rendra t-il la vue, car on dit que ce sont nos montagnes de glace qui m'ont réduit à ce bel état, et que les contraires se guérissent par les contraires. Je vous avoue que je serais fâché de perdre absolument les deux yeux, qui ne pouraient plus voir made Le Bault, par la même raison qu'il me serait dur de perdre les deux orreilles qui ne pouraient plus entendre ni vous ni elle. Je me suis toujours bercé de l'espérance de venir vous faire ma cour à tout deux à Dijon, mais

Belle Philis on désespère
Alors qu'on espère toujours.

Oserais-je, Monsieur, prendre la liberté de vous suplier de présenter mes respects à mr Le Procureur général?

Daignez me conserver toutes vos bontés. Voulez vous bien avoir celle de m'adresser les cent bouteilles par Lyon, à l'adresse de mr Camp, banquier de Lyon, par le premier roulier qui partira pour ce païs là.

Je vous souhaitte les années de celui qui a le premier planté les vignes, soit Bacchus, soit Noé.

J'ai l'honneur d'être avec bien du respect, Monsieur, Vôtre très humble et très obéïssant serviteur.

Voltaire